samedi 26 février 2011

Respirations et inspirations


Je rentre de quelques jours de vadrouille. D'abord dans le Sud, où j'ai fait le plein de soleil, de mer, de lecture, de bons repas maternels et de câlins à mes enfants. Puis à Amsterdam avec DramaKing, un trop court séjour, amoureux et émerveillé.
Une pause bienvenue, qui me permet de retrouver ma vie parisienne avec bonheur, envies, désirs, optimisme et gaieté renouvelés.

Respirations donc. Les inspirations, ce sont deux des livres que j'ai lus cette semaine.

D'abord le "Just Kids" de Patti Smith. Belle histoire, belle écriture, belle personne.

Deux très jeunes gens dans le NY des années 70, Patti Smith et Robert Mapplethorpe, décident de vouer leur vie à l'Art et de se soutenir mutuellement jusqu'à être capables de "voler de leurs propres ailes". Fauchés et marginaux, ils s'inventent un quotidien de bouts de ficelle, où le bonheur consiste à dessiner côte à côte en écoutant des disques, regarder ensemble les quelques livres d'art possédés, arranger un petit appartement ou une chambre d'hôtel comme un cocon protecteur, échanger avec d'autres artistes, s'offrir des cadeaux de riens, chinés ou confectionnés, se débrouiller, vivre, avancer.
Le spectre de la misère et de l'indigence rôde parfois autour de Patti et Robert. Mais la vraie richesse naît de cet art d'investir leurs maigres possessions comme leurs relations humaines, avec intensité, imagination et profondeur.

Surtout, ces deux là s'aiment et ne cesseront jamais de s'aimer, malgré l'homosexualité de Robert, son côté "pute" (au sens propre comme au sens figuré), sa soif de réussite sociale et matérielle, malgré les séparations, et malgré l'époque même, drogue, sexe et rock n' roll.

Pas de mythologie 70's d'ailleurs dans ce récit, ni folklore, ni lyrisme, ni nostalgie. Je ne crois pas que cela soit dû au recul de l'âge. J'ai le sentiment que Patti Smith, malgré sa jeunesse, était déjà suffisamment elle-même pour ne pas céder à la fascination du moment et des êtres, pour voir au-delà des discours, des attitudes, des décors, des costumes et des masques. Elle : lucide et intègre, avec un solide sens de l'humour qui affleure ça et là.

J'aime particulièrement ce qu'elle écrit sur Warhol, son art, le personnage, son entourage, et qui correspond à ma propre vision. En peu de mots, sans outrance, elle exprime une position ferme qui témoigne d'une réelle indépendance d'esprit.
L'art de Warhol, factice et faussement révolutionnaire : "Le travail de Warhol reflétait une culture que je voulais éviter. Je détestais la soupe, et la boîte ne m'emballait guère. Ma préférence allait à l'artiste qui transforme son temps plutôt qu'à celui qui se contente de le refléter."
Warhol lui-même, un "fantôme" arbitre des élégances artistiques qui se désinvestit de toute vraie relation avec autrui : "Andy était une véritable anguille parfaitement capable d'esquiver toute confrontation digne de ce nom."
La "galaxie" warholienne enfin, que Robert tente par tous les moyens d'infiltrer : une "cour" dont les courtisans se désespèrent d'obtenir une "audience" auprès du Roi (comme dans le magnifique film "Ridicule" de P. Leconte).
Mais Patti Smith fait preuve aussi de tendresse à l'égard de ceux qui se sont perdus dans ce tourbillon d'apparences, surtout les jeunes femmes, qu'elle décrit comme des princesses à la gloire en suspens : "On peut toujours être sûr de voir Holly Woodlawn faire une entrée majestueuse, de surprendre Andrea Feldman dansant sur les tables et Jackie et Wayne faire étalage de leur esprit insolent, mais de plus en plus, les jours où elles formaient l'attraction principale du club semblaient comptés."
C'est la faiblesse de Robert que de vouloir à tout prix en être, réussir en tant qu'artiste,et peut-être plus encore en tant que figure de cette scène new-yorkaise. Mais cette faiblesse nous est restituée avec tant d'amour et d'indulgence, sans jugement moral, qu'elle ne fait que rendre l'homme plus attachant.

Patti Smith n'éprouve elle aucun besoin de se sentir faire partie d'une quelconque élite, culturelle, artistique ou sociale. Consciente de son talent, sans fausse modestie, elle n'est cependant pas ambitieuse au sens "Rastignac" du terme. Ce qui l'anime avant tout, c'est la volonté de produire une œuvre sincère et de qualité. Et l'ironie du sort veut qu'elle accède à la reconnaissance que Robert poursuivait avec tant d'acharnement avant lui : "Mon succès était pour Robert l'objet d'une fierté sans mélange. Ce qu'il voulait pour lui-même, il le voulait pour nous deux. Il a exhalé une volute de fumée parfaite et il a parlé de ce ton qu'il n'utilisait qu'avec moi - une gronderie feinte, de l'admiration sans envie - notre langage de frère et soeur : Patti, a t-il fait d'une voix traînante, t'es devenue célèbre avant moi."

Histoire d'un amour absolu qui traversera le temps sans s'amoindrir ni s'altérer.
Récit d'un parcours artistique.
Peinture d'une époque et d'un milieu.
Une écriture simple, sans emphase, et quelques traits poétiques fulgurants. Sensibilité, générosité, émotion, sincérité, pudeur.
La "kid" Patti Smith m'a enchantée.

2ème source d'inspiration du moment : le journal d'Anaïs Nin, mais c'est un vieil exemplaire piqué à ma mère, donc pas la version non expurgée parue en 2003 et que je dois me procurer.

Quelques extraits qui ont résonné en moi :
"Les écrivains ne vivent pas une seule vie, ils en vivent deux. D'abord ils vivent, puis ils écrivent ; c'est le 'revenez-y', la réaction différée."
"[...] dans le journal, tout coule de source ; ce que je produis en dehors est une distillation, le mythe, le poème. L'élaboration est là. C'est le joyau fabriqué à partir de la source naturelle. Ne devrait-on préférer les joyaux ?"
"Il est étrange qu'ayant vécu sous l'influence de ma mère [...], j'aie découvert seule cette même discipline, cet esprit spartiate, cette sagesse, cet amour de l'harmonie. Que j'aie passé ma vie à me développer, à me discipliner, à me cultiver, à m'assigner des tâches difficiles, à critiquer ma propre conduite dès l'enfance comme si j'avais assumé le rôle de mon père absent, celui d'un perfectionniste. Des tâches que je me suis moi-même données, des buts que je me suis créés de toutes pièces."
"Louveciennes. De nouveau chez moi. Le soir : entrer dans ma maison, c'est comme s'enfoncer dans un duvet, dans la couleur, la musique, le parfum, la magie, l'harmonie. Je suis restée sur le seuil et j'ai une fois encore éprouvé le miracle en oubliant que c'est moi qui l'ai créée, qui ai peint les murs en rouge de Chine, turquoise et pêche, qui ai posé les tapis foncés, choisi la cheminée de mosaïque, les lampes et les rideaux. J'étais ensorcelée, comme par l'œuvre d'un autre. Une caresse de couleur, de chaleur, un hamac d'harmonies suaves, un ventre de miel, un palanquin de soie." (tellement semblable à ce que je ressens lorsque je retrouve mon chez-moi !)
Opposition entre son père et Henry Miller, entre perfection glacée et imperfection vivante : "Chaque mot, chaque émotion, chaque geste composés, synthèse d'un élan, mais d'un élan artistique. A cet instant c'est bien. C'est le bon moment. Les lumières. La pièce. La vie est orchestrée, modelée par sa volonté. Quand nous marchons ensemble, ne me prends pas le bras. Le mouvement dominé, sculpté, la vie contenue, mise en forme, embellie. Pas de mollesse, de négligence, d'abandon, ni de désinvolture. Du style. De la forme. Tu peux venir maintenant. Mets ta robe du soir. Orchestration. Instrumentation. Pas de désordre, de caprices, de fantaisie.
Henry brise tous les moules, toutes les formes, toutes les carapaces, toutes les constructions de l'art, et il en naît quelque chose de chaud et d'imparfait. Quelque chose d'humain."

Je trouve dans ce journal de quoi me nourrir : réflexions sur l'écriture diariste et l'écriture littéraire, qu'est-ce que l'art, le beau ? le rêve est-il mensonge ? a t-il moins de valeur que la réalité ? les relations hommes-femmes, la féminité, la femme muse et artiste ? la psychanalyse, le rapport au père, la maison comme refuge de soi... et tant d'autres choses encore. Je n'ai pas fini d'explorer toute cette richesse, j'y reviendrai peut-être une prochaine fois.

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