vendredi 31 décembre 2010

Happy new year !

Les petits viennent de partir avec leur père. Toujours le même déchirement, malgré la soirée de réveillon qui s'annonce, avec DramaKing, et chez mes meilleurs amis.
Alors je ferme la porte de leur petite chambre, sur leurs affaires en désordre, leurs vêtements, leurs jouets, leurs livres, leurs trésors, et je range la table du goûter. Cela me fait moins mal si je n'ai pas sous les yeux les traces concrètes de leur existence.

Il s'agit de convertir ce sentiment de renoncement qui m'assaille si souvent, en choix assumés. Ce sera MA bonne résolution 2011.

Pour le reste, parlons plutôt de voeux : de la musique, des mots, des images, des émotions, des rencontres, un amour qui nous emmène encore plus loin... Pour DramaKing et moi, pour mes amis, pour les lecteurs occasionnels ou réguliers de ce blog, ceux que je connais, et ceux que je ne connais pas.

Il est temps de se préparer pour la fête. Qu'elle soit longue et belle, et rendez-vous en 2011 pour de nouvelles pages de vie à écrire...

jeudi 16 décembre 2010

La femme d'à côté


J'avais depuis longtemps envie de revoir "La femme d'à côté", qui m'avait beaucoup marquée adolescente.

On sait dès le départ que le drame est inévitable.
On le sait dès la scène inaugurale, au cours de laquelle Madame Jouve, choeur de cette tragédie et patronne du club de tennis local, raconte le départ d'une ambulance. La mort est déjà présente.
"Cette histoire, nous dit-elle, a commencé 6 mois plus tôt, non en fait 10 ans plus tôt. Non, 6 mois."

Un couple s'installe dans la maison voisine de celle de Bernard, Arlette et leur petit garçon Thomas. La femme de ce couple, Mathilde, la femme d'à côté, et Bernard, se sont aimés 8 ans auparavant. Chacun d'eux dit de l'autre qu'il lui "en a fait baver". Bernard : "Je t'en veux autant du mal que je t'ai fait que du mal que tu m'as fait." Attitude tellement masculine ! En vouloir à l'autre de la souffrance qu'on lui inflige, et de la culpabilité que l'on en éprouve.

Comme ils se retrouvent vite tous les deux ! Amour intact, désir exacerbé par les années de séparation et l'interdit, habitude de deux corps qui se connaissent et se redécouvrent pourtant, souvenirs partagés et présent  implacable, tendresse et hostilité mêlées. Certitude de l'impossibilité aussi, d'abord chez Mathilde, puis chez Bernard, mais aucun d'eux ne saura résister à cette passion inguérissable, dont ils ne veulent pas guérir.

J'ai pensé à l'exposition "Brune / Blonde" que j'ai vue la semaine dernière à la Cinémathèque.
Fanny Ardant est la brune absolue : intense, mystérieuse, celle qui fera souffrir, mais qui a souffert aussi, et souffrira encore. Et cette voix si particulière. Bernard : "Elle... Elle est plutôt ténébreuse. Elle fait partie de ces femmes qui n'en finissent pas de chercher midi à quatorze heures."
Arlette, la femme de Bernard, est jolie, souriante, gentille, vive et... Plutôt blonde, du moins châtain clair. Elle a senti l'éloignement de Bernard, mais n'a pas su en deviner la cause. Quand elle l'apprend enfin, elle console son mari comme un enfant. L'idiote qui croit que la compréhension, l'écoute, l'attitude maternelle le ramèneront à elle ! Bien sûr, c'est à ce moment là que l'on découvre, en même temps que Bernard, qu'elle attend leur 2ème enfant. Lorsque Mathilde est finalement hospitalisée pour dépression, Bernard lui rend visite régulièrement. A la demande de son mari, et avec la bénédiction d'Arlette. Une fille bien cette Arlette. Quelle conne !
Madame Jouve, s'adressant à Mathilde : "Quand je vois de beaux cheveux, je ne peux pas m'empêcher de les toucher. Surtout les brunes. Parce que les blondes il y en a trop." Tout est dit.

Ce contraste fait aussi toute la force du film : il s'agit d'un amour sauvage dans un univers lisse, policé, serein. On ne voit pas les saisons passer : il fait éternellement beau, doux et vert sur les courts de tennis. Idée magistrale que de situer cette passion au sein d'une bourgeoisie de province aisée, saine et sportive, incarnée par des personnages corrects et sympathiques. Transparents. Seuls Mathilde et Bernard semblent vivants.

Ils mourront pourtant. Mathilde tue Bernard, puis se tue, au cours d'une ultime étreinte. Eros et Thanatos, on n'en sort pas. Ce sont leurs deux corps que l'ambulance du début emporte. Mathilde sera à jamais "La femme d'à côté" : la voisine ; à côté de la plaque, à côté de ses pompes, à côté de la vie, parce qu'elle ne peut pas être aux côtés de Bernard dans la vie, et qu'elle a choisi de l'être dans la mort.

Madame Jouve nous dit qu'elle aurait voulu pour Bernard et Mathilde une même tombe, et une même épitaphe : "Ni avec toi, ni sans toi."

DramaKing, tu me manques à cet instant.

mercredi 1 décembre 2010

La lutte continue

J'aurais voulu publier cette note le jour anniversaire du blog mais la soirée a passé trop vite.

C'est l'heure d'un premier bilan donc.
Un an a passé. C'est le 39ème post. Le couple DramaKing / Liz se construit et s'invente jour après jour, au fil des mots et des images. Nous avons tous deux changé de vie, fait des choix assez radicaux pour être plus en accord avec nous-mêmes. Pas toujours facile.  Deux enseignements majeurs. Le premier : nous nous aimons, absolument, profondément, passionnément ; et nous voulons continuer à nous aimer ainsi. Le second : cet amour est riche et heureux, mais aussi exigeant et complexe ; il faut tout à la fois ne pas l'ignorer et ne pas sur-dramatiser.

Très récemment, je me suis enfin décidée à lire Houellebecq, c'était peu de temps avant l'attribution du Goncourt, et il n'y a pas de lien de cause à effet.  J'ai longtemps fui Houellebecq, comme je fuis tout livre, film, auteur... dont on parle trop et dont il faut savoir parler.
J'ai trouvé "Extension du domaine de la lutte" à la médiathèque et je l'ai emprunté. Je me suis reconnue dans le vertige du narrateur face à son inadaptation au monde. Si l'humour, le cynisme permettent dans un premier temps de mettre un peu ce sentiment à distance, au fur et à mesure que l'on avance dans le livre, il n'y a plus d'échappatoire possible.

Il arrive un moment où l'on ne veut pas voir la suite, parce qu'on est convaincu que le pire reste à venir. On ne peut pas continuer ainsi vers le néant, on ne désire plus que se couler dans une sombre immobilité.

Mais enfin, comme le dit DramaKing, moi j'ai mes enfants, mon amoureux, des amis, une famille qui m'aime et me soutient, du travail, de l'argent, un joli appartement, de jolies affaires, et même du temps que je peux organiser à ma guise. Je suis l' "adaptée" par excellence, du bon côté de la barrière, dans la bonne moitié de la planète.

Je suis pourtant submergée parfois, par la peur, la tristesse, le sentiment de vide, la conviction de l'inéluctabilité de la catastrophe.

Je lutte de façon modeste contre l'angoisse et le désespoir, et seulement pour moi-même et mes proches. Je me protège, je me calfeutre, je me barricade.
J'ai déjà écrit que DramaKing m'avait poussée à m'ouvrir de nouveau aux émotions. Mais jusqu'à présent, je n'ai pas encore réussi à passer de la compassion facile devant les malheurs exposés à l'action concrète. Je culpabilise car je n'ai le courage de me dépouiller de rien : ni temps, ni énergie, ni argent. Alors, si je n'y prends pas garde, je finis par verser dans la selbsthass si répandue chez mes Viennois chéris.

Lorsque DramaKing me soumet, je suis libérée de ces pensées qui me hantent. Je n'ai plus peur du vide. Le vertige qui me saisit est celui du présent, du corps, de la sensation, et mon angoisse me laisse en paix. En m'abandonnant à la volonté de DramaKing, je continue la lutte, et je deviens plus forte.

dimanche 21 novembre 2010

La Sirène du Mississipi prend le dernier métro

"- Ta beauté est une souffrance.
 - Hier tu disais que c'était une joie.
 - C'est une joie et une souffrance."
Louis / Marion dans "La Sirène du Mississipi"
Bernard / Marion dans "Le dernier métro"
François Truffaut

DramaKing :
"Parle-moi.
Tu m’énerves."

Liz :
"Protège-moi.
Tu me fais peur.
Je suis glacée.
Je suis brisée.
A l’intérieur."

DramaKing :
"Tu choisis :
Je ne peux pas être ton maître et penser à ta souffrance ;
Concentre-toi sur mon plaisir.
Tu n'es là que pour mon plaisir.
Je te ferai l’amour gentiment si tu continues.
Ou plutôt je ne te ferai plus l’amour du tout.
Parce que je ne sais pas faire l’amour gentiment."

Liz :
"J’ai mal."

DramaKing :
"Tu reviens en arrière.
Ca fait presque un an et demi que je te dis la même chose.
Tu m’énerves à gigoter comme ça sous moi.
Tiens-toi tranquille bon sang."

Liz :
"J’ai envie de toi.
Baise-moi.
Ne me laisse pas seule.
Tu me manques."

DramaKing :
"Je t’aime plus que tout,
Je suis dingue de toi."

Liz :
"Souffrir / plaisir / jouir
Ne plus écrire
Ne rien dire."
  
DramaKing :
"Je suis un rouleau-compresseur parfois."

Liz :
"Ménage-moi, épargne-moi.
Je suis fragile.
Je ne suis pas de taille."

DramaKing :
"Ca ne m’amuse pas.
Pas envie que tu aies mal.
Mais ça va nous deux non ?"

Liz :
"Oui mon Amour."

Liz :
"(Oui, mais...
... Je me réveille en pleurant le matin.
... Je dois m’arracher à toi.
... Je rassemble mon courage.
... Si proche, si loin.
... Inéluctable, irrémédiable solitude.
... Dépendance trop forte. Je ne sais plus exister par moi-même."

L'amour, cet amour : une joie et une souffrance.

dimanche 24 octobre 2010

Généalogie (4) : Nanou

Nous sommes en mars 1947. A 40 ans, Marianne vient d’accoucher d’un septième enfant. C’est une fille, Anne, dite Nanou.

Une semaine après sa première visite à la Villa, Marianne déjà n’avait plus de doutes. Elle a toujours su très rapidement lorsqu’elle était enceinte. Pas à cause des nausées ou de la fatigue, elle n’a jamais ressenti ce genre de symptômes. Non, c’est de ses seins gonflés, de l’odeur particulière de ses sécrétions intimes, de son désir sexuel encore plus impérieux, qu’elle tire sa certitude.
Plus tard, elle en informe Simon et l’homme de la Villa. Ils savent qu’elle ne se trompe pas. Rien n’est décidé. Pendant toute la grossesse de Marianne, l’étrange ménage à trois se poursuit. Elle donne et prend du plaisir avec cet homme, qui la paie. Elle raconte tout à Simon au cours de séances épuisantes. Le rituel est toujours le même. Nue, cuisses écartées, les poignets attachés aux montants du lit, Marianne répond aux questions de Simon qui exige toujours plus de détails. Un dialogue tissé d’un vocabulaire cru et explicite s’instaure entre ces deux taiseux. Ils ne se sont jamais autant parlé. Puis Simon détache Marianne, quitte la chambre et s’en va fumer une pipe devant la maison. Restée seule, Marianne se caresse, jouit et s’endort en pleurant.
Elle grossit si peu que son état ne devient visible qu’au bout de six mois. L’accouchement est difficile. Marianne est à bout de nerfs et de fatigue, le bébé se présente par le siège. Elle n’a jamais autant souffert pour mettre au monde un enfant. Cette épreuve fait taire définitivement les ardeurs de son corps. A 40 ans, Marianne décide de devenir une vieille femme. Elle se flétrit d’un seul coup, comme une fleur privée d’eau.
L’homme de la Villa n’a d’autre choix que d’accepter cette décision, cette retraite, cette mise à mort volontaire de tout ce qui a fait Marianne telle qu’il l’aime. Car il l’aime, comme il n’a jamais aimé, comme il n’aimera plus jamais. Il ne reviendra plus à Saint-Raphaël. Il ne se mariera pas, n’aura pas d’enfants. Il verse un capital à Marianne qui met toute la famille à l’abri du besoin. Il constitue une rente à Nanou. Il enverra une somptueuse couronne toute de fleurs rouges à la mort de Marianne en 1996. Il s’éteindra quelques mois plus tard, et Nanou héritera des reliquats de sa fortune en même temps que du poids des secrets.

Simon ne s’est jamais posé la question de l’ascendance de Nanou. A près de soixante ans, il se sent avec cet enfant, le septième, père pour la première fois de sa vie. Sous le regard ébahi de Marianne, il change Nanou, la baigne, lui donne à manger, joue et gazouille avec elle, lui fait faire ses premiers pas. Plus tard, il s’occupera de l’amener à l’école, ira la rechercher, lui fera réciter ses leçons. Il soigne les bobos, éloigne les cauchemars de la nuit, a toujours un bonbon dans la poche, un nom doux à la bouche, « ma toute petite », des genoux qui tressautent en cadence, et l’enfant qui rit en criant à dada ! Avec vingt ou vingt-cinq ans d’avance, Simon invente et met en pratique le concept de « nouveau père ». Les frères et la sœur se mettent au diapason de cet amour immense et déraisonnable de Simon pour Nanou. Ils la cajolent, la gâtent, ils lui passent tout.
Marianne quant à elle, pressent au-delà des caprices et des minauderies d’enfant trop choyée, une intelligence et une soif de connaissances qui les dépasseront rapidement. Nanou est positivement nulle en couture, ne veut pas manger, agit en peste avec ses frères et sœur, est consciente de l’impunité offerte par son père, se montre parfois en proie à des colères blanches effarantes de violence. Mais par-dessus tout, Nanou aime lire, avec voracité. Alors Marianne l’abonne à « Lisette », et ne lui refusera jamais la dépense d’un livre. Elle a compris que les mots écrits seuls peuvent apaiser sa fille.

Marianne a intensément habité son corps. Nanou en revanche ne vit que par la pensée. Lorsqu’elle a ses règles pour la première fois, elle sait parfaitement de quoi il est question. Et ça la révulse, ça la révolte, cette condition féminine animale, archaïque, aberrante, ce sang qui coule sans discontinuer de la partie de son corps qu’elle s’obstine à ignorer.
Elle va au collège et au lycée. Elle fait partie des quelques 15% de sa classe d’âge qui obtiennent le baccalauréat. « Avec mention », précisent ses parents avec fierté. Elle entre à l’Ecole Normale pour devenir institutrice. Elle pourrait viser plus haut, mais c’est déjà beaucoup pour Marianne et Simon. Elle les quitte pour s’installer à Nice, où elle obtient son premier poste.
Mai 68 : Nanou a 21 ans. Elle coupe très courts ses cheveux tressés. Elle a l’air d’une amazone. Elle est vierge et déterminée à le rester. Elle est à la fois en lutte et sur la réserve. A elle seule, son père a raconté les horreurs de la Grande Guerre. Elle a découvert le syndicalisme et le marxisme, mais elle se méfie de la geste révolutionnaire. Entre deux AG, elle continue à vivre dans son monde de livres, maintenant son corps et celui des autres à distance.

jeudi 14 octobre 2010

Généalogie (3) : Marianne et Simon

Passée l’allégresse de la Libération, les difficultés matérielles subsistent. Jean et Claude, âgés de 14 et 12 ans, sont partis aux Enfants de Troupe. Mais il en reste encore trois à la maison. Rosette, 13 ans, commence à aider sa mère à la couture. Michel n’a que 8 ans. A 10 ans, Marcel est constamment malade, « il lui faut une nourriture saine et variée » a dit le docteur. Alors Simon reprend le chemin du Golf. Les riches sont de retour, ce ne sont plus forcément les mêmes mais ils apprécient toujours autant son air matois et sa finesse d’esprit. Les pourboires sont généreux, insuffisants toutefois pour couvrir toutes leurs dépenses.

Un jour, l’un des clients insiste pour ramener Simon chez lui, en automobile ! Une splendide Packard Super Eight, un convertible coupé de 1938 aux chromes étincelants, tout blanc, de la carrosserie aux cuirs intérieurs, et jusqu’aux pneumatiques. Le véhicule s’enfonce à roues feutrées dans le chemin qui conduit à la maison que Marianne et Simon ont réussi à acheter juste avant la guerre. L’homme est aussi « smooth » que sa conduite. Tout de crème, beige et blanc vêtu, sauf un foulard rouge noué à la diable autour du cou. C’est un événement. Marianne et les enfants sont sortis sur le perron pour contempler l’extraordinaire. Simon s’extrait péniblement du piège de cuir. L’homme est déjà dehors, il jette rapidement un regard autour de lui, le vaste jardin broussailleux, la maison, grande mais sans charme, il trouve rapidement ce qu’il cherche, il se fige. C’est elle, Marianne, qu’il voulait voir. Il n’avait entraperçu qu’une silhouette fugitive, une fois qu’elle était venue chercher Simon au Golf. Il avait posé des questions, plus ou moins discrètement. On lui a vanté sa beauté, sa débrouillardise, son don pour la couture. Il se le rappelle fort opportunément, juste à cet instant : « Dites Simon, j’ai un costume là, qu’il faudrait reprendre. J’en ai besoin pour après-demain, un rendez-vous à Monaco. J’ai entendu dire que votre femme, Madame, vous pensez que… », dit-il en s’adressant enfin à elle avec un sourire qu’il espère à la fois engageant et innocent. Marianne ne dit rien évidemment. Simon non plus. Le silence s’installe. Les enfants n’osent pas bouger. L’homme va se rétracter, remonter vite vite dans sa voiture, s’en aller, la queue entre les jambes, le petit facteur corse aura triomphé du Parisien beigeasse et arrogant... « Bien sûr, Marianne viendra demain chez vous. ». Il a dit ça Simon, d’un ton détaché et supérieur, et l’homme n’a plus qu’à se retirer en bredouillant ses remerciements. Il a obtenu ce qu’il voulait. Il n’en conçoit aucune gloire, aucune fierté, c’est tout juste s’il pense au plaisir à venir.

Les enfants se sont égaillés sitôt l’inconnu parti. Marianne et Simon ont continué à se défier du regard pendant quelques minutes. Simon a haussé imperceptiblement les épaules. Marianne a tourné les talons, s’est enfoncée dans l’obscurité de la maison.

Il allume une pipe, s’assoit sur les marches. Ces derniers mois ont été difficiles. Le manque d’argent. La santé de Marcel. Lui-même ne s’est pas senti bien vaillant. Il a du prendre sa retraite, il ne pouvait plus assurer ses tournées. La pension est maigre, ils ont englouti toutes leurs économies dans la maison, ils n’ont plus un sou devant eux. Surtout, l’entente physique qui les a soutenus Marianne et lui pendant toutes ces années, eh bien, l’âge se fait sentir, il a près de soixante ans bon sang ! Et elle, elle veut toujours, il sent son corps tendu rôder autour de lui, il ne sait plus répondre à son désir, alors il ne fait plus que la frapper, et ils font semblant tous les deux d’y trouver leur plaisir. Il la voit se consumer, il ne veut pas qu’elle se dessèche, sa belle, sa merveilleuse Marianne, qu’il a tenue vivante, chaude et palpitante entre ses bras, elle est jeune encore, tellement plus jeune que lui ! Il la vend, c’est vrai, à ce gandin, ce fils de famille qui a eu la bonne idée de résister et pose maintenant au héros, dans sa voiture et ses costumes immaculés. Simon avait surpris son regard sur elle, au Golf. Marianne était vive et gaie ce jour là. Simon attendait la suite, il était sûr qu’elle viendrait, et sa décision était prise. Il n’a eu aucune hésitation. Le silence, c’était juste pour faire sentir à l’autre qu’il reste le maître. 

Marianne ira donc demain à la Villa, la plus belle, la plus grande du bord de mer. Elle prendra soin de ne pas se faire voir. Il faudra veiller à maintenir les apparences. Elle fera tout ce que l’autre lui dit. Deux heures, pas une minute de plus, rajustement compris. Elle prendra l’argent. Elle reviendra à la maison et poursuivra ses tâches quotidiennes. Elle devra répondre aux questions de Simon, ne rien lui cacher, surtout pas sa jouissance. Car il sait qu’elle jouira. Le fils de famille a une sacrée réputation. Pendant qu’il énonce ses ordres, la nuit dans leur chambre, Simon se met à bander très fort. Cela ne lui était pas arrivé depuis si longtemps. Il est homme, tout-puissant à nouveau. Il baise Marianne, dans les larmes, la colère et la jubilation. Il la traite de putain et la sent s’ouvrir un peu plus à chaque fois. Ce seront leurs dernières étreintes.

mercredi 13 octobre 2010

Il y a des soirs

Il y a des soirs où je me sens particulièrement misérable.
Guettant un signal qui ne viendra pas.
Incapable de sortir de moi-même.
La preuve.
Fatiguée sans parvenir à aller me coucher.
Fumant comme une cheminée, malgré ces douleurs dans mon dos.

Il faudrait pourtant que l'ivresse m'assomme.
Peur du sommeil.
Je lis. J'écoute du jazz à la radio. Je fume. Je ne veux pas m'étendre dans mon lit.
Mes yeux se fermeraient sans doute.
Sur ma tristesse et ma solitude.

Il y a des soirs où mon cocon douillet ne m'est d'aucun réconfort.
Mes enfants ne sont pas là. Je ne peux pas aller les regarder dormir en pleurant.

Il y a des soirs où je suis privée de cet apaisement.
Je fume et je bois.
Je ne mange pas. Je suis mal fichue, je ne garde rien.

Il y a des soirs où je me vautre dans le désespoir.
Mon cœur se serre avec volupté.
Je suis enveloppée de douceur et d'amertume.
Je regarde la nuit avancer. Je la défie. Sur son terrain. Chiche que tu te retireras avant moi.
Elle finira par céder au jour. Moi je l'ai déjà vaincue à plusieurs reprises.
Le corps protestera. Je l'écouterai peut-être.
Je l'aime bien. Il me sert avec courage et dévouement. Je lui demande toujours plus d'efforts.
Il n'est plus si jeune, le pauvre.
J'ai lu qu'on pourrait dans quelques dizaines d'années se maintenir éternellement en bonne santé. Et aussi que les ordinateurs allaient prendre le pouvoir sur l'humanité. Je me demande si mon propre ordinateur écrira mes mots à ma place.
J'ai lu beaucoup de livres ces derniers jours. Je sais que dans une semaine je ne m'en souviendrai plus.
Je suis trop vorace, je ne retiens rien. J'ai été trop longtemps sevrée. Et là, je me goinfre, je me gave jusqu'à l'indigestion. Ce que je ne peux pas manger, je le lis.
Parfois je guette les signes d'Alzheimer chez moi. Je me dis que ce sera ma punition.
Pour avoir trop voulu de la vie, pour avoir été perpétuellement insatisfaite, pour avoir souhaité arrêter le temps, pour avoir détesté mes insuffisances.

Il y a des soirs où je laisse les mots courir et mon corps et mon cœur avoir mal.

Il y a des soirs où je me laisse aller.
Je suis un bon petit soldat, je me reprendrai demain.
Je paierai ma fatigue, les trop nombreuses cigarettes, le vin rouge, les mots qui dansent dans ma tête et ce solo de saxophone en pleine nuit.
Je paierai avec mon ventre gonflé, mes traits tirés, ma gorge douloureuse, mes tempes battantes.
J'établirai un programme strict pour la journée que je me ferai un devoir de respecter à la lettre.
Je me dirai : "Ce soir je me couche tôt."
Je n'en ferai rien.

Il y a des soirs où je me fais ma révolution toute seule sur mon canapé.
Une toute petite révolution qui ne concerne que moi.
Juste me couper du monde. Une bonne fois pour toutes. Cette nuit. Toute la nuit. Et un peu demain matin aussi.
Oser dire que je veux avoir la paix. Rester chez moi à lire, écrire, boire et fumer. Ne plus jamais en sortir. Pas de contraintes, pas de responsabilités. Quitte à ne pas exister, autant que ce soit pour de bon. Je ne vous demande rien, ne me demandez rien.

Il y a des soirs où je suis tellement moi que je ne me reconnais pas.

lundi 11 octobre 2010

Généalogie (2) : Marianne et Simon


Après la guerre, Simon a repris son métier initial de facteur. Cela aussi permet l’intégration rapide du couple dans la petite commune varoise. Sombre et taciturne dans le privé, Simon se fait dans l’exercice de sa profession, sociable, souriant, presque charmeur. Marianne quant à elle s’est découvert un talent : la couture. On lui confie robes et costumes à reprendre, à tailler, bientôt à inventer, pour des occasions spéciales, mariages, baptêmes, premières communions… Elle ne prend pas cher, et elle fait des miracles avec rien.

L’un dans l’autre, Marianne et Simon s’en sortent. Ils gagnent peu, mais dépensent encore moins, et économisent sou à sou de quoi acheter un logement. Ils sont connus, appréciés et respectés. Ils forment une équipe aux ambitions modestes, mais réalistes. Et dans cette solidarité née du malheur, ils ont appris à s’aimer. Longtemps après la mort de l’enfant, Simon n’a pas osé toucher Marianne. Il n’est pas pour autant retourné voir les filles. Il s’est débrouillé comme il pouvait. C’est Marianne un soir qui l’a attiré à elle. Leurs étreintes ont pris une autre tournure. La brutalité de Simon s’est nuancée de tendresse, elle est désormais plus érotique que maladroite. Marianne peut s’abandonner enfin, laisser libre cours à cette sensualité que Simon avait devinée brûlante. Faire l’amour est leur seule distraction, mais ils s’y adonnent avec passion. En-dehors du lit, ils se parlent toujours aussi peu, si ce n’est pour discuter des affaires courantes. Mais ils s’effleurent constamment, échangent des sourires et des regards, et ne se lassent pas de ce jeu secret de séduction.

Le résultat ne se fait pas attendre : entre 1930 et 1937 naissent cinq enfants, quatre garçons et une fille. Marianne adore être enceinte, et elle l’est presque tout le temps pendant cette période. C’est sa revanche sur la mort de son tout-petit. Enceinte, elle devient vraiment belle. Son désir de Simon est plus animal aussi, mais lui n’en a plus peur. Il goûte désormais l’exceptionnelle qualité de leur relation. Les grossesses à répétition puis la présence bruyante des enfants et le souci de pourvoir à leurs besoins n’altèrent pas les ardeurs du couple. Marianne se montre plus astucieuse encore dans la gestion du quotidien. Et pour arrondir les fins de mois, Simon fait parfois le caddie au Golf de Saint-Raphaël. Serviable sans être obséquieux, discret ou disert selon le besoin, il est souvent sollicité par les clients. Les hommes politiques, écrivains et artistes sont nombreux dans cette décennie à choisir la petite station balnéaire comme lieu de villégiature. Certains d’entre eux, adeptes du golf, réclament « leur » caddie à chaque séjour.

Dès que nés, les enfants grandissent presque par inadvertance. Le père est bourru, absent, les gamins le craignent même s’il élève rarement la voix. La mère est efficace et pragmatique. On dirait qu’elle a épuisé toute sa tendresse maternelle dans les pleurs de la mort de son premier-né. Marianne et Simon sont centrés sur eux-mêmes, sur leur couple. Les garçons, Jean, Claude, et Michel le dernier, né en 1937, sont envoyés aux Enfants de troupe dès l’âge de 12 ans. Ils devront, en échange de la gratuité de leur formation, donner à l’issue de celle-ci au moins cinq ans à l’armée française. La fille, Rose (que l’on appelle Rosette), sera couturière comme sa mère. Marcel, le quatrième de la fratrie, est le seul garçon gardé à la maison en raison de sa santé fragile. Passionné de littérature, il entrera à l’Ecole Normale et deviendra professeur de français.

La guerre à nouveau. A 50 ans et père de cinq enfants, Simon n’est pas mobilisé. Il hésite entre le soulagement et un sentiment tenace d’inutilité. La débâcle de 40 le renforce dans sa conviction de l’absurdité du fait militaire. Il n’aime pas Pétain, qu’il classe parmi les matamores qui les ont envoyés, ses camarades et lui, se faire massacrer pour leur propre gloire. Il n’aime pas davantage ce de Gaulle sorti de nulle part qui prétend poursuivre la lutte. Mais il aime encore moins les Allemands, et Hitler en particulier, auquel il voue une haine féroce depuis qu’il a eu connaissance des autodafés organisés par les nazis. Bien que Simon ne lise quasiment pas, sinon le journal de temps en temps, il a un respect immodéré pour la chose écrite. Les nazis deviennent ses ennemis personnels. Il résiste donc, dès 1940, avec prudence toutefois et dans la mesure de ses moyens : il transmet des informations et des documents, parfois des armes. Mais il a été très clair : pas question de prendre davantage de risques, en particulier si cela doit impliquer Marianne et les enfants. Ils ne cacheront personne chez eux, et lui n’interviendra pas plus directement sur le terrain. Cette activité modeste de résistance vaudra cependant à Simon d’être placé tout en haut de la liste noire nazie pour la commune de Saint-Raphaël, moins d’une semaine avant le débarquement de Provence le 15 août 1944.

Est-ce à cause de la guerre, des cauchemars qu’elle réveille chez lui ? Marianne ne tombera plus enceinte, malgré la constance maintenue de leurs rapports. Cela les sauve, certainement. Même si Saint-Raphaël n’a pas été touché dans les premières années de guerre, la période est difficile sur le plan matériel. En dépit de toute son ingéniosité, Marianne peine parfois à rassembler de quoi nourrir toute la famille. Elle se prive au profit des siens, et perd les kilos accumulés au cours de ses nombreuses grossesses. A l’issue de la guerre, elle est une femme de trente-sept ans à la silhouette et aux traits aiguisés, usée, comme patinée par la souffrance, le labeur et l’inquiétude. Mais soutenue par la flamme érotique qui l’anime toujours à l’égard de son mari, elle est plus séduisante que jamais.

jeudi 7 octobre 2010

Généalogie (1) : Marianne et Simon


Elle a 20 ans en 1927, elle est pratiquement née avec le siècle nouveau. Elle est assez jolie, moins belle, dit-on, que sa sœur aînée, mais c’est mieux finalement, plus sûr. La sœur, la fantasque, l’éclatante, la merveilleuse, est partie avec un pêcheur que nul ne connaissait, et personne n’en a plus jamais entendu parler.

Elle, Marianne, attend sagement. Elle aide au ménage, à la cuisine, au bar de ses parents, à Bastia. Elle sait qu’elle ne doit pas espérer grand-chose : peu d’argent dans cette famille, la dot ne sera pas fameuse, et elle ne possède pas ces attraits qui sont pour un homme comme autant de promesses irrésistibles.

Alors quand son père accorde sa main à cet homme, elle n’a pas d’autre choix que d’accepter. Il a 18 ans de plus qu’elle, il vient d’Ajaccio, ils n’usent pas du même langage, le français leur sert à se comprendre, mais de toute façon ils ne se parlent pas. Il s’appelle Simon, elle aime ce prénom, c’est plutôt bon signe. Elle se le répète plusieurs fois par jour dans sa tête, dans la courte période qui sépare la demande du mariage : « Simon et Marianne », « Marianne et Simon ». Ca sonne bien.

Le mariage est réussi, gai. Oh bien sûr, son mari ne l’a pas fait danser, mais il avait fière allure, avec son costume militaire et ses décorations. C’est qu’il s’est battu lors de la Grande Guerre, il a fait Verdun. Il a été gazé d’ailleurs, mais il n’en parle jamais. Beaucoup de jeunes sont morts alors bien sûr, la différence d’âge entre elle et lui, c’est assez inévitable, il en est ainsi de beaucoup de couples à cette époque. Une aubaine pour ceux qui s’en sont sortis ? A voir. Lui s’inquiète de la sensualité de sa femme, qu’il est seul à avoir décelée. Il a souri aux grivoiseries qui les ont accompagnés jusqu’à la chambre de leur nuit de noces. En réalité, il redoute le moment de se retrouver seul avec elle.

Ça ne se passe pas bien. Il est brutal, maladroit. « La petite » (c’est comme ça qu’il la nomme en son for intérieur, avec cette tendresse qu’il ne lui témoigne jamais) a eu mal, elle pleure, elle ne comprend pas. On ne lui a pas dit, on ne lui a pas expliqué, on ne l’a pas prévenue. Et lui ne sait pas faire autrement. Il n’a jamais su. Il n’a eu que des filles de bordel prises rapidement, les femmes lui font peur, il n’aime pas se sentir aspiré par elles, par leur désir, il pense que c’est ainsi qu’elles pompent l’énergie vitale des mâles, alors il décharge vite et violemment, et se détourne aussitôt.

Elle a quelque chose pourtant Marianne. Une façon de se donner dans la douleur qui l’intrigue et le touche. Mais Simon ne cède pas.

Un premier enfant vient au monde un an après le mariage. La joie de Marianne est immense. Elle reporte sur son fils tout son amour blessé, sa tendresse inassouvie. Simon a raison : elle est sensuelle. Elle ne cesse de flairer, humer, toucher, palper ce petit bout d’homme qui est ce bout d’elle. Elle donne le sein avec facilité et ravissement. Rien n’est plus beau, plus troublant que le spectacle du désir repu du bébé et de la mère après la tétée.

Quand un matin Marianne découvre l’enfant sans vie, elle devient folle. Elle le berce sans fin en chantonnant dans toutes les pièces de la maison. Simon est désemparé devant cette détresse qui le dépasse, qui dépasse en intensité toutes les détresses qu’il a pu rencontrer au cours de la guerre. Après l’enterrement, Marianne cesse de pleurer. Elle se comporte normalement, vaque à ses occupations quotidiennes. Mais elle parle le moins possible, et ne sourit plus jamais. C’est un fantôme, un épouvantail froid et raide.

Simon décide alors de quitter Ajaccio et d’aller s’établir sur le Continent, dans le Sud toujours, au bord de cette Méditerranée qu’il aime tant. Il se dit que le changement leur fera du bien, et puis on les regarde de travers ici. La douleur persistante de Marianne ne suscite plus la compassion mais l’incompréhension : il n’est pas rare après tout de perdre un enfant, encore moins un nourrisson ; et puis elle en aura d’autres, c’est allé vite après le mariage, et elle est jeune. La fixité de son regard, son visage fermé, son mutisme font peur : Marianne a-t-elle vraiment retrouvé toute sa raison ?

Sur le Continent, chez les Français, tout est beaucoup plus compliqué. Mais Simon a eu raison. Marianne se sent mieux. Dans cet environnement hostile qu’elle ne maîtrise pas, elle est obligée de réagir.

mercredi 29 septembre 2010

Cher Alexandre


 DramaKing et moi nous sommes disputés hier soir à votre sujet. Le point de départ était "Un amour sans merci". Je vais être honnête : j'en suis à peu près à la moitié, au même point que DramaKing qui "squatte" votre livre éhontément. Je l'ai cherché aujourd'hui à la Fnac St-Lazare, parce que ça me plaît moyennement de vous prendre ainsi à témoin (à partie ?) alors que je n'ai pas lu votre livre en entier. Sans succès malheureusement. En revanche DramaKing et moi avons lu tous les deux "Les filles du déluge".
J'ai fait quelques recherches sur vous, lu des critiques, des interviews, votre blog, découvert votre véritable identité (ce qui n'était pas très difficile, ainsi que vous l'aviez dit dans un entretien), et par conséquent votre autre blog.

Alors, où est le problème ?

DramaKing se reconnaît en vous, et vous a selon moi désigné comme son père "officieux" de substitution. Toute attaque contre vous (ou ce qu'il considère comme telle) est vécue comme une attaque personnelle. Il me l'a dit : "Je défendrai Gamberra comme s'il s'agissait de moi."
Et c'est vrai qu'il vous ressemble DramaKing. Mêmes blessures. Même radicalité. Même manque de détachement... et de modestie. Même séduction trouble. Même absence de légèreté. Même fragilité. Jusqu'à vos amitiés artistiques et littéraires qui sont pour lui autant d'idoles dans son panthéon privé (Gilles Berquet notamment).
Même soif d'amour, de reconnaissance et d'admiration éperdues. Tous deux appelez à l'obéissance et au sacrifice, vous exigez l'absolu et vous vous donnez à mesure. Ce faisant vous découvrez votre vulnérabilité. Vous êtes des dominants au pied d'argile.

Tout ce qui me touche et m'exaspère aussi, parfois, chez lui comme chez vous.

Nous nous sommes disputés hier parce qu'il me semblait que vous faisiez porter à Tristars toute la responsabilité de votre échec commun. Elle avait profité de vous le temps de se révéler à elle-même. Duplicité de petite conne au fond confite dans son conformisme bourgeois. Et elle était partie, parce que pute et non putain magnifique, elle n'avait su se maintenir sur vos hauteurs.

Lorsque je m'interroge sur la réalité de ce schéma, DramaKing m'accuse de féminisme systématique et doctrinaire, grossier.

Il me semble en effet, qu'une femme réagit différemment au moment de la rupture amoureuse. Mais peut-être devrais-je être plus honnête et ne parler que de moi. Je commence par me demander ce que j'ai fait, ce que je n'ai pas fait, ce que j'aurais du faire, ce que j'aurais du éviter. Puis j'invoque les facteurs extérieurs : le temps qui passe, la routine qui s'installe, le travail qui épuise, les soucis qui minent, les enfants qui bouffent. Ce n'est qu'après que vient la phase d'accusation, nécessaire au rétablissement du moi : "Le salaud, de toute façon il ne me mérite pas, et je suis bien conne de ne pas l'avoir largué la première." Mais avant d'en arriver là, j'ai questionné mes propres défaillances. Je suis sûre que vous l'avez fait Alexandre. Simplement je ne le vois pas dans vos ouvrages (ou pas encore).

Je cherche donc d'autres causes à la défection de Tristars. Je pense à la différence d'âge entre vous. Là aussi, j'essaie d'être honnête. Il y a très probablement chez moi un fond d'aigreur et d'angoisse de "déjà vieille soumise" : c'est vrai quoi, marre de ces quarantenaires portant beau leurs tempes argentées et qui n'ont d'yeux que pour des nymphettes d'à peine vingt ans ! Et tant mieux s'ils se font plaquer dans la douleur, ça leur apprendra ! Ca leur apprendra à apprécier la fragilité, la douceur, la générosité, le sens du dévouement de la femme qui mûrit. Ca leur apprendra à ne pas confondre Maître et Pygmalion. Ca t'apprendra, DramaKing, toute l'étendue de ma peur à l'idée d'être un jour trop vieille pour que tu aies encore envie de me dominer.

Je pense aussi à quel point la passion, surtout la passion SM, est épuisante. On s'effraie à ne se sentir et vivre qu'en désirs extrêmes. On s'écœure parfois de cette addiction. On a envie alors de se réfugier dans le quotidien, on fait le choix de la sécurité des sentiments et des sensations, on se raccroche à ce qui fait "la vraie vie des vrais gens" : des objectifs clairement définis et conformes à ce que la société nous impose comme modèle de réussite - un certain confort matériel et affectif. Je rue comme une pouliche au dressage (petit clin d'œil à DramaKing et à ses fantasmes de "pony girl") à l'évocation de ce renoncement et pourtant... Je sais que je ne peux m'engager autant dans les exigences de notre relation que parce que je suis fortement ancrée au réel par ailleurs (grâce à mes enfants notamment). Comment reprocher sa fuite à Tristars (les soumises, êtres de fuite, disiez-vous dans "Les filles du déluge"), elle qui ne disposait sûrement pas de cette sorte de points de repères ?

J'expliquais hier à DramaKing que j'éprouve une tendresse particulière pour la malice et l'hédonisme de Pierre Bourgeade, alors que vous me semblez si cérébral, et comme raidi dans votre cérébralité. A quoi DramaKing m'a répliqué que cette définition s'applique aussi parfaitement à lui.
Nous sommes femelles tournées vers la vie, le mouvement, par nécessité et par plaisir.
Chers Maîtres, laissez-nous parfois vous descendre de votre piédestal et vous faire ressentir la jouissive simplicité de notre trop humaine condition, nous ne vous en aimerons que davantage.

Cher Alexandre, pardonnez-moi ce méchant procès d'intention mal documenté. Je ne pouvais pas attendre davantage pour vous écrire. Mais je finirai bien par trouver "Un amour sans merci" (ou par le piquer à DramaKing). Alors je le lirai jusqu'au bout, et peut-être aurai-je un regard différent.

mercredi 21 juillet 2010

Le secret



Pour DramaKing et moi, le rapport de domination / soumission n'est pas seulement un jeu érotique. Il est constitutif de notre amour et conditionne l'ensemble de notre relation.

Il est mon maître et je suis sa soumise. Je n'en fais pas toute une histoire, c'est une donnée de base de ma vie et de mon "moi" désormais, tout comme le fait d'être mère. J'agis, pense et me vis en mère avec mes enfants, de même j'agis, pense et me vis en soumise avec DramaKing.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Je me montre avec DramaKing douce, patiente et conciliante comme je ne l'ai jamais été. Je défends mon point de vue et impose ma volonté quand je l'estime nécessaire, mais différemment. Là où je passais en force, en dureté, et parfois en provocation, j'use aujourd'hui de calme, de discrétion, de délicatesse et d'empathie. Je veux que mon maître se sente toujours tel, même, et surtout quand il se rend à moi. J'ai ainsi le sentiment de retrouver les arcanes d'un savoir féminin très ancien : celui des courtisanes, des favorites, le savoir d'une Madame de Maintenon.

DramaKing en retour m'admire, m'écoute, me respecte, me gâte, me pare, me baise, me câline et me bat avec passion. Il m'appartient autant que je lui appartiens.
Et dans notre couple, le rire, la complicité, les tendres moqueries, les petites bêtises, ont aussi droit de cité. Simplement, nous n'oublions jamais ce que nous sommes l'un à l'autre. A l'arrière-plan, en toute liberté, en toute légèreté, il y a ce lien si particulier qui nous fait basculer à tout moment.

Il n'y a pas de frontière entre notre vie érotique et notre vie "réelle", les deux se mêlent et se confondent : toujours un peu de hardcore dans le sensible, toujours un peu de sensible dans le hardcore. DramaKing dit qu'en cela, je le mène plus loin qu'il n'a jamais été, au bord du gouffre, au-delà de la ligne rouge. Il dit aussi qu'il ne pourrait pas me gifler comme il le fait s'il ne m'aimait pas autant, et que s'il adore me faire mal, il déteste me voir souffrir, que ce soit physiquement ou moralement.

Jusqu'à récemment, je ne réalisais pas à quel point ce type de relation est, disons peu commun, voire hors norme. J'aime en soumise, avec autant de naturel, de spontanéité, de bonheur, d' "innocence" au fond, qu'en amoureuse "classique". Je n'éprouve pas de sentiment de transgression, ce qui me désole un peu parce que cela pourrait ajouter encore à l'excitation.

Alors parfois je me demande si, dans cette marginalité dont j'ai quand même fini par prendre conscience, je suis tout à fait "normale".

Je découvre pas à pas, un univers qui est loin de se résumer à Sade, Histoire d'Ô, et toute la vague imagerie noire, jarretelles, escarpins, chaînes et chandeliers qui s'était développée dans un coin de ma tête.
Il y a ce terme, BDSM, que je ne connaissais pas il y a encore quelques mois (sigle de "bondage et discipline, domination et soumission, sado-masochisme", dixit Wikipédia).
Des photos, des livres, des figures, des objets, des légendes, des films, des pratiques et des rituels : une culture à laquelle m'initie DramaKing, et que j'explore aussi timidement de mon côté, par des lectures principalement, par exemple "Les filles du déluge" d'Alexandre Gamberra, conseillé par Aurora dans sa sélection de l'été (http://auroraweblog.karmaos.com/post/2073).

Mais ce monde est si prolifique et divers, je suis fascinée, autant parce que je m'y reconnais, que parce que je m'en sens très éloignée.

Qui sont vraiment les gens comme DramaKing et moi, les couples comme nous, comment vivent-ils leur amour au quotidien ? Je regarde les passants dans la rue. Je me demande si celle-ci est une soumise, si celui-là est un maître, je cherche des signes, surtout chez les femmes. Est-ce que les soumises sont différentes des autres, à quoi les reconnaît-on, est-ce que je leur ressemble ? J'ai depuis longtemps, et de plus en plus, le goût des gros bracelets, qui pèsent sur le poignet et le font plus fragile. Je les porte aujourd'hui comme un rappel de ces autres bracelets, que seul DramaKing connaît et qu'il a choisis spécialement pour moi. Comme un code secret.

Ce secret, je le berce en moi avec fierté et émerveillement. Et je me demande si "ça" se voit...

dimanche 20 juin 2010

Toute ressemblance...

C'est un artiste. Vous avez été la première à lui donner ce titre, à le décréter, le proclamer. Vous l'avez encouragé à suivre sa voie, à s'y engager sans réserve, vous avez martelé les arguments à n'en plus finir : talentueux, jeune, bosseur, passionné et débrouillard, je crois en toi mon amour.

Parce qu'une fois vous lui avez dit que vous ne supportiez pas les "losers", il s'inquiète de savoir si vous l'aimerez toujours lorsqu'il sera un artiste désargenté. Vous lui expliquez alors que ce qui est important pour vous, c'est la passion, le travail, l'intégrité, l'engagement et la volonté, bien plus que le compte en banque, et il se sent rassuré, parce que ces qualités là ne lui font pas défaut, vous le lui avez tant répété, je crois en toi mon amour.

Vous êtes celle dont le regard compte le plus, c'est à vous qu'il parle de ses projets et qu'il montre ses réalisations en avant-première. Il est exigeant, il vous demande de l'être aussi, d'être critique et constructive. Parfois vous vous sentez prise en défaut, vous êtes fatiguée, vous ne vous estimez pas légitime, vous n'êtes pas assez cultivée, votre oeil n'est pas assez aiguisé, la preuve, vous ne connaissez pas la moitié des choses dont il vous parle, et vous en oubliez aussi. Le sentiment de votre incompétence vous accable, tout comme la banalité de votre vie et de vos préoccupations, alors... Dans le doute, vous êtes élogieuse, vous savez qu'il attend plus de vous, que vous le décevez, mais c'est tout ce que vos forces vous permettent : je crois en toi mon amour.

Il dit qu'il est là pour vous lui aussi, pour les petits tracas du quotidien, comme pour les grandes décisions de la vie, pour vous écouter, vous encourager, vous pousser, vous engueuler même. Mais vous n'osez pas beaucoup faire appel à lui, vous ne voulez pas le déranger, et puis vous avez pris l'habitude de vous débrouiller seule et toute dépendance vous pèse. Vous préférez lorsqu'il est fier de vous, alors vous vous essayez à l'écriture : à lui l'image, à vous les mots. Vous décidez vous aussi de changer de vie. Vous n'en pouvez plus de périr d'ennui et de stress, et votre frustration est d'autant plus intense que vous le voyez, lui, prendre son envol sur les ailes de la création. Mais il a du temps quand vous êtes en retard sur tout, il est enthousiaste quand vous êtes seulement épuisée, il a confiance quand vous êtes pétrie de doutes et de peurs, il affine son projet quand vous n'aspirez tout bêtement qu'à faire une pause. Il vous semble que vous tentez vainement et artificiellement de créer une symétrie, afin que chacun d'entre vous puisse dire à l'autre : je crois en toi mon amour.

Vous êtes fière quand d'autres confirment son talent. Vous ne ressentez aucune inquiétude tant qu'il s'agit de vos amis. Mais il y a ceux qui ne savent même pas que vous existez, ou pour qui votre existence n'est qu'un détail insignifiant. Vous les redoutez parce que vous pensez qu'ils risquent de l'entraîner dans des lieux, des univers et des expériences dans lesquels vous n'aurez pas votre place. Vous savez qu'il a besoin de rencontres, de partages et d'échanges, et vous vous en voulez de cette crainte de ne plus être la première et la seule, vous culpabilisez de vouloir l'enfermer, vous avez tellement peur de le perdre. Vous ne laissez rien paraître de tout cela, vous essayez en tout cas, vous jouez le rôle qu'il attend de vous, la parfaite compagne, et vous répétez comme un mantra : je crois en toi mon amour.

Vous voudriez être tellement associée à son art que personne ne puisse l'ignorer et vous nier. Être son unique modèle féminin, ou en tout cas son préféré. Être assez jolie pour que toutes les images qu'il capture de vous soient déjà si prometteuses qu'il ait envie de les travailler en priorité. Vous voudriez que ces photos méritent qu'il y consacre son temps et son talent, plus que celles qu'il a prises d'autres femmes. Vous n'attendez pas qu'il vous fasse plaisir, là n'est pas la question. Vous comprenez ses impératifs artistiques. Ce sont vos propres insuffisances que vous pointez. Vous ne vous aimez pas en ce moment, votre allure, votre teint, vos cheveux, votre silhouette. Vous vous voyez vieillir et vous avez peur de la dégradation des prochaines années. Vous n'arrivez pas à poser pour lui. Parce que vous pensez que même dans une situation "maîtrisée", la magie de son regard ne suffira pas à vous rendre belle, et vous ne voulez pas qu'il le sache lui aussi. Vous manquez de confiance en vous, je crois en toi mon amour.

Vous ne vous sentez pas à la hauteur. Vous pensez qu'il faut vous protéger, et vous avez peur de vous refermer. Vous êtes infiniment triste.

Tout cela n'est qu'une fiction bien sûr : "Toute ressemblance avec des personnes réelles est purement fortuite."

 Je crois en toi mon amour.

vendredi 11 juin 2010

New life

Combien de tournants dans une vie ?
Combien de hasards décisifs, de prises de conscience capitales, de décisions cruciales ?
Combien de pages tournées, de nouveaux chapitres à écrire ?
Combien de projets, de rencontres, d'envies, de rêves ?
Jusqu'à quand ? A 20, 30, 40 ans... A chaque instant la possibilité exaltante et terrifiante de quitter la route, de prendre les chemins de traverse.
Pourquoi ? Pour la trace impalpable de nos désirs.
Quelle sera notre histoire ? De quelles strates serons-nous faits ?
Il n'en restera rien, que le souvenir de ces déclics qui, lorsqu'ils se produisent, nous semblent si évidents.
Nous avons l'immense chance de faire partie de ceux pour qui la destinée est un choix.

C'est un beau jour pour changer de vie...

jeudi 10 juin 2010

DramaKing a 30 ans

Portfolio Pierre Bourgeade des éditions Chez Higgins : http://www.chezhiggins.com/

Tu dors encore. Je vais bientôt partir pour emmener les enfants à l'école. Je reviens ensuite. Avec des croissants, le Monde daté d'aujourd'hui, des Camel parce que tu n'en as plus, et ton cadeau. J'espère qu'il te plaira, je sais qu'il te plaira. Tu te demanderas pourquoi je tarde tant à rentrer, ou peut-être que non, que tu seras toujours en train de dormir, comme je ne sais pas le faire le matin.
Ce soir, nous irons ensemble au concert de Jamie Cullum à l'Olympia. J'adore cet artiste, j'avais pris les places il y a bien longtemps, au coeur de la tempête, dans la douleur de ton absence, me disant que c'était un signe que ce concert ait lieu le jour même de tes trente ans. Demain, nous ferons la fête avec des amis.

J'ai tellement pensé à ce 10 juin 2010, j'ai presque l'impression que c'est mon anniversaire aussi. Mon cadeau c'est toi, l'amour passionné et absolu que tu me portes, l'univers que tu m'ouvres, l'espoir et la conviction qu'ensemble, nous nous forgeons une vie à la hauteur de nos désirs.

Je m'arrête là car je vais finir par être sérieusement en retard pour l'école.
Joyeux anniversaire DramaKing, je t'aime.
Liz.

dimanche 6 juin 2010

LuLiz

C'était le point de départ du post d'aujourd'hui : La Vilaine Lulu, bande dessinée d'Yves St-Laurent parue pour la première fois en 1967, dont j'ai pu voir quelques planches à l'exposition du Petit Palais. J'ai fait un petit tour sur le Net pour voir ce qui se disait de cet ouvrage. Et là, surprise ! Je tombe sur des blogs et des vidéos d'obscurs tarés qui proposent une soi-disant "critique" de cette "BD sordide de 1967 dessinée par le Juif Yves St-Laurent, véritable guide initiatique au satanisme pour les enfants !". On retombe avec ces élucubrations dans la théorie du complot judéo-maçonnique mâtinée d'accusations de pédophilie, traite des blanches et luciférisme à usage des enfants (voyons, cette double syllabe "Lu-Lu", c'est bien un signe d'apologie de LUcifer, n'est-ce-pas ?). Et j'oubliais bien sûr le crime majeur d'Yves St-Laurent, son homosexualité notoire !

Bref : c'est rance, vomitif, à pleurer de bêtise crasse. Et ça me donne envie de laisser libre cours à ma facette "vilaine Lulu" !

De quoi parle t-on ? D'une petite fille qui fait beaucoup de bêtises, un peu comme la Sophie de la Comtesse de Ségur ou Mimi Cracra (j'adorais Mimi Cracra quand j'étais petite), mais en beaucoup plus hardcore. Lulu aime faire de vilains gestes, par exemple soulever sa robe et se taper les fesses. Lulu a un rat comme animal de compagnie. Lulu se moque du bébé d'une jeune maman, qui finit par l'abandonner. Lulu traite sa maîtresse de prostituée. Lulu tombe amoureuse et découpe d'autres petites filles pour les offrir en sacrifice à Vénus et obtenir ainsi les faveurs de l'être aimé. Lulu enlève des petites filles qui ne "seront pas perdues pour tout le monde" dit un monsieur élégant et barbichu. Et Lulu n'est pas punie, elle arrive même à infiltrer l'église catholique, à devenir cardinale, et finalement papesse !!!

Yves St-Laurent disait qu'il ne fallait pas lui appliquer le fameux "Madame Bovary c'est moi" de Flaubert. La vilaine Lulu n'est pas lui, elle est nous tous. Elle est nos pensées et nos pulsions inavouables, notre cruauté joyeuse, notre méchanceté jubilatoire.

La vilaine Lulu m'habite quand j'ai envie de flanquer des coups de pied à un ridicule et minuscule caniche promené par une rombière du 8ème dans la rue de Monceau.
La vilaine Lulu est en moi quand j'envoie valser mon costume de superwomaman, quand j'ai la flemme de tout, de faire des courses, de me laver, quand je nourris mes mômes aux Chips et au Nutella, quand je me soûle seule sur mon canapé en fumant des cigarettes à la chaîne, quand je me caresse devant mon miroir en tirant la langue ainsi que me l'ordonne DramaKing, pour me voir comme il me voit.
La vilaine Lulu me hante quand j'imagine DramaKing avec "la Petite". C'est moi qui l'appelle comme ça, de son côté, elle me surnomme "la Dame", et je ne peux rien contre l'arrogance de ses 20 ans. Je l'ai rencontrée en septembre dernier à une soirée d'anniversaire, où elle m'avait allumée assez sérieusement. Je sais maintenant qu'elle en avait fait autant avec DramaKing. Elle a été l'objet de notre première dispute lorsqu'il est revenu. Il aurait voulu faire l'amour, lui, elle et moi. J'ai banni la vilaine Lulu qui me disait d'accepter, parce que j'aurais pu jouir en massacrant la Petite. J'en ai beaucoup voulu à DramaKing de ne pas croire à ma violence folle, mauvaise, "désaxée", "dégénérée", pour reprendre les termes employés par les pourfendeurs d'Yves St-Laurent. Il m'a mise au défi en évoquant sa résistance à elle et m'a obligée ainsi à ne pas le relever. Je crois qu'il accepte mieux ma part sombre désormais.

La vilaine Lulu est une ombre qui m'est familière depuis bien longtemps déjà.
Quand petite fille, à l'arrière de la voiture, je faisais des gestes obscènes au conducteur juste derrière pour l'exciter. On n'est pas loin de la Lulu estampillée YSL montrant ses fesses non ? Suis-je une adepte du satanisme innée puisque personne ne m'y a initiée ?
Quand au collège, assise en cours à côté d'une des meilleures élèves de la classe : bonne famille, bonne catholique, et des seins que je m'arrangeais pour frôler constamment, tandis que je pressais mon pubis contre la barre de mon bureau jusqu'à l'explosion tant désirée. 
Quand je laissais (et encourageais) mon prof de maths en 1ère me draguer de façon éhontée. Je me désespérais d'aller déjà sur mes 16 ans, alors que Nabokov fixe strictement l'âge limite de Lolita à 14.
Quand j'ai séduit ma meilleure amie - et témoin - à quelques jours de mon mariage.
Etc.

Tout cela peut paraître bien sage en définitive. 
Ce qui est sûr, c'est que j'emmerde tous ces abrutis haineux et moralistes : la vilaine Lulu, c'est moi.

lundi 10 mai 2010

Sweet motherhood

Dans le bus ce matin : gros câlin avec Pierre mon fils aîné, en écoutant de la musique, chacun un écouteur :
- Hong-Kong, Gorillaz (http://www.deezer.com/fr/#music/result/all/hong%20kong%20gorillaz)
- Diplomat's Son, Vampire Weekend
- Constellations, Darwin Deez (http://www.deezer.com/fr/#music/result/all/darwin%20deez%20constellations)

Le nez dans ses cheveux de soleil, de lune et de cendre, je le respire et admire son cou si pâle.
J'ai envie de dormir et de pleurer de tendresse.
Nous avons créé notre bulle, repoussant le matin, le lundi, les gens stressés et déjà fatigués, et ce mois de mai qui ne veut décidément pas se muer en vrai Printemps.

Mes enfants me protègent autant que je les protège.

Je rêve d'une vie où mes fils ne me diraient pas qu'ils ne me voient pas assez souvent.
Je rêve d'une vie où je ne serais pas toujours pressée, et obligée de les presser.
Je rêve d'une vie où le temps, surtout celui que je passe avec eux, ne s'écoulerait pas aussi vite.
Je rêve d'une vie où les moments de grâce et de pur bonheur tels que celui de ce matin ne seraient pas des instants volés.

Mais peut-être alors que ça ne serait pas aussi bon ni aussi fort.

Parfois cet amour là me submerge.

samedi 1 mai 2010

To switch or not to switch ?


Il y a peu, pour la première fois, c'est moi qui ai attaché DramaKing. Impression étrange, inédite, et terriblement excitante, de traverser le miroir : Alice au Pays des Merveilles toujours. Et pourtant, les rôles ne se sont pas complètement inversés : je suis restée douce, il donnait les ordres.

DramaKing à ma merci : il était beau, semblait plus mince encore que d'habitude, très jeune, fragile, vulnérable. Je n'osais pas vraiment le regarder, parce que mon désir de le brutaliser devenait si fort, j'avais peur de m'y laisser aller, de ne plus le contrôler.

Il n'est pas si facile d'être celui qui domine : je t'attache, tu es à moi, je te bats, je te fouille, je te contrains, je te fais mal... Il faut assumer pleinement cette posture, soumettre sans réserve et sans compromis. Mais aussi écouter l'autre, ses peurs et ses désirs, et l'aider à repousser ses limites. La domination de DramaKing est généreuse : elle n'a d'autre objectif qu'un plaisir partagé. Elle est par conséquent maîtrisée.  Il sait être à la fois complètement dedans et suffisamment dehors, pour donner, plus encore que pour prendre.
Je l'admire pour cela, moi je ne m'en sens pas capable aujourd'hui.

Enfin, "switcher", est-ce pour nous l'ultime transgression ? Nos jeux, pour n'être pas tout à fait conventionnels, sont pourtant régis par des conventions. Il faut une sacrée dose de liberté et de confiance pour sortir des rôles que nous nous sommes naturellement attribués, abandonner nos repères, quitter nos chemins balisés.

C'est un défi assez tentant...

vendredi 23 avril 2010

Comme un naufrage

J'avais ce titre en tête depuis deux mois. Je ne savais pas trop quoi en faire. J'avais dit ça à DramaKing une fois, après l'amour. Le caractère a priori négatif de l'évocation m'avait déconcertée, parce que c'était mon bonheur au contraire, que je voulais exprimer. Mais je sentais qu'il y avait dans cette idée de naufrage quelque chose de très juste.

J'ai compris pourquoi.

Pendant l'amour... Je m'accroche à toi DramaKing, parce que tout tourne, et tangue autour de moi, tout devient flou et inexistant.
Tu es mon unique repère, le centre de mon univers, mon point d'ancrage, la seule preuve de ma réalité.
C'est comme un naufrage, parce que le monde s'écroule mais moi, je vis par mon sexe empli de toi, mes mains qui s'agrippent à tes épaules, mon souffle qui se mêle au tien.
Et plus je suis contrainte, entravée, moins j'ai de maîtrise sur le chaos qui m'environne, par conséquent plus je dois m'abandonner, m'en remettre à toi, te faire une confiance totale.

J'ai besoin de toi pour ne pas me laisser submerger par le stress et la routine, l'angoisse du temps qui passe, la peur de vivre à côté.

Je fête ce soir mon anniversaire, avec mes amis, dans la maison de poupée. J'ai eu 32 ans le 8 avril. Je me sens très jeune et très vieille. Je suis follement heureuse et parfois traversée d'éclairs noirs. Je vis dans le présent mais je n'ai pas peur de l'avenir. Je suis insignifiante et je suis toute-puissante. J'ai quelques croyances, entre autres celle-ci : ça vaut le coup. Pour l'amour, le sexe, l'amitié, les enfants, la musique, les mots, les images, Paris, la nuit, la mer et le soleil... Ca vaut le coup de n'être qu'un point dans l'univers, et de s'émerveiller malgré tout, d'exalter sa conscience, et de donner corps à la légèreté.

DramaKing m'emporte loin du naufrage, il me ramène à la vie, à moi-même. DramaKing est mon
sauveur, mon héros et mon maître. J'en souris en l'écrivant : un peu de second degré et une immense douceur.

lundi 5 avril 2010

Après l'amour


Après l'amour, nous parlons.
Après l'amour, je me fiche de la tête que je peux avoir.
Après l'amour, mon corps vibre encore de plaisir, et je suis envahie d'un profond bien-être.
Après l'amour, la tendresse reparaît.
Après l'amour, le désir est toujours là.
Après l'amour, nous fumons une cigarette.
Après l'amour, il y a des vêtements éparpillés un peu partout et l'odeur de nos corps entremêlés flotte dans l'air.
Après l'amour, vient la leçon de tunisien.
Après l'amour, parfois nous recommençons.
Après l'amour, DramaKing regarde Liz s'endormir.

samedi 27 mars 2010

Divagations aériennes


Mardi 23 mars 2010, vol Milan-Paris, quelque part au-dessus des Alpes, vers 19h :

Pas trop de monde donc j'ai fui ma place initiale à côté d'une grosse dondon qui envahissait tout mon espace vital. J'ai trouvé des cigarettes et des écouteurs à l'aéroport. Et, à la mienne, je suis à l'apéro, au vin blanc. Sauf qu'il est assez infect, je vais y aller doucement si je veux encore avoir ma tête demain.

Au-dessus des Alpes... Pas si loin de mes petits qui me manquent si fort.

Gros bruit soudain dans l'avion, je déteste, ça arrive, on ne sait pas pourquoi. En principe le vol devrait être très calme, il fait un temps magnifique. J'ai quand même vraiment hâte d'arriver. Je sais que c'est ridicule d'avoir peur comme ça. Complètement irrationnel.

Je dors très mal en ce moment. Je stresse parce que je n'ai pas assez de temps pour tout faire, parce que je suis obligée de renoncer à certaines choses. J'ai tendance, parfois, à voir tout en noir, à n'écouter que la frustration, à ne pas vouloir assumer de faire des choix.

Je me suis fait un pschitt de Fahrenheit à l'aéroport. Je voyage avec le parfum de DramaKing autour de moi et cela m'apaise.

Les gens me sortent par les yeux. Leurs costumes et leurs tronches grisâtres. Leurs ventres bedonnants. Leurs journaux économiques. Leurs ordinateurs portables, leurs Blackberry, leurs clés USB. Leurs présentations Powerpoint, leurs tableaux Excel. Où sont les rêves et les passions, les révoltes ? Ils explosent dans leurs pantalons trop serrés, voient des chiffres quand ils dorment et ne se souviennent plus de l'âge de leurs gamins.

On va atterrir très bientôt. Je n'ai pas réussi à éteindre mon Ipod, quelle truffe ! Impressionnant. Il fait nuit. Plein de lumières. L'avion tourne. Je vois la Tour Eiffel et la Défense. Le Stade de France. On descend sérieusement là. On sort le train. On va toucher. Maintenant. Ouf. Ca y est.

dimanche 14 mars 2010

Tu es l'homme-pluie

Tu es l'homme-pluie, celui
Qui me rend liquide à l'intérieur,
Celui pour qui je pleure.
Tu es mon amour vertige,
Je ne peux m'empêcher d'avoir peur.

Tu es l'homme-pluie, celui
Dont la fantaisie urbaine s'accommode si bien
Des nuances du gris parisien.
Tu es mon amour dandy,
Et mon désir est infini.

Tu es l'homme-pluie, celui
Qui parfois gronde et m'effraie
Lorsque je ne crois plus en rien
Comme une terre asséchée
Un pays de vauriens.

Tu es l'homme-pluie, celui
Qui m'irrigue, m'apaise, me régénère,
En dépit de ta colère.
Tu es mon amour tempête,
Que rien n'arrête.

Tu es l'homme-pluie, celui
Que j'invoque et prie de venir
M'emplir.

dimanche 21 février 2010

Les mots sont l'enjeu

Je tourne autour de ce post depuis plusieurs semaines. Les mots ont pris pour moi ces derniers temps une importance considérable. Je ne veux pas écrire pour écrire, et j'ai envie d'écrire. Je ne veux pas écrire pour écrire, et je ressens l'angoisse de ne pas écrire.

J'écris sur mon carnet bien sûr. C'est un plaisir dont je me passe très difficilement. Ce plaisir d'être en moi, la sensation physique du stylo qui court sur les lignes, la magie de voir les mots se former au fur et à mesure. Ces petits carnets sont probablement les objets auxquels je tiens le plus.

Mais parfois les mots me font peur. Leur pouvoir me fait peur. Je leur dois le retour de DramaKing et son amour aujourd'hui. Qu'arrivera t-il s'ils ne se présentent plus à moi spontanément, pour se soumettre et m'obéir ? Ils sont mon armée, mes soldats, que faire s'ils se mutinent ? Que faire s'ils perdent contre d'autres mots ?

J'ai donné un nom à DramaKing, j'ai donné un titre à cette photo, "DramaKing into jail". Nommer les choses, c'est vouloir se les approprier, les marquer de son sceau. J'ai tant lutté, tous ces jours, pour la reconquête de mon amour. Cette ultime bataille des mots, j'y ai jeté tout ce qui me restait de forces, et c'était bien peu.

Je crois que je suis profondément fatiguée, usée. Et je ne sais pas bien me reposer. Je n'ai de cesse de me fixer de nouveaux objectifs. Parfois c'est comme une fuite en avant insensée. Ces dernières années, ces derniers mois, ont été éprouvants. Je suis très heureuse aujourd'hui. Mais derrière la sérénité apparente, je me sens fragile, au bord de la rupture.

En écrivant, je n'ai eu jusqu'à présent d'autre ambition que de faire mienne ma propre vie. Mais en me servant des mots dans un autre but, pour retrouver et garder l'homme que j'aime, j'ai le sentiment d'avoir ouvert la boîte de Pandore, sans retour en arrière possible. J'ai découvert le pouvoir des mots, et le désir intense de le maîtriser, au-delà de moi. Je suis "condamnée" à poursuivre dans cette voie.

Il y a un avant et un après. Malgré la fatigue et mon envie de m'y laisser aller, je ne peux plus l'ignorer : les mots sont l'enjeu.

mardi 2 février 2010

La tentation du reflet


J'ai toujours eu le fantasme du frère.
L'homme qui me ressemble le plus, le seul avec lequel je partage jusqu'au sang, aux origines, aux caractères héréditaires, au code génétique.
Celui pour lequel aucune femme ne pourra jamais être ce que je suis.
Celui qui se souvient de moi enfant, m'a vue grandir, que j'ai troublé quand il n'aurait pas dû l'être, qui m'aimera toujours, à sa façon rude et tendre.
Celui qui est interdit aussi bien sûr.

Mais je suis fille unique, j'ai deux garçons, le tabou de l'inceste frère-sœur n'existe pas pour moi, et le fantasme restera à l'état de fantasme.

Je pense que c'est de là toutefois que me vient cette volonté de ressembler à DramaKing.

Il existe une tendance, typiquement féminine il me semble, à essayer de se fondre totalement dans l'univers de l'homme que l'on aime. Mon amie La Voix de la Raison appelle ça "le syndrome de la Femme Barbapapa".

Je crois que je vais plus loin encore. Je veux devenir son double. Je veux être cette femme à laquelle il ne peut renoncer sans se perdre lui-même.

Je n'ai jamais poussé aussi loin la tentation du reflet, et ne me suis jamais formulée aussi clairement son origine. Une confidence que m'a faite récemment DramaKing me laisse penser qu'il comprend et partage cette tentation. Et que le fantasme de ressemblance et de fraternité n'est en rien un frein au désir érotique, bien au contraire.

Ainsi, nous ne nous lassons pas de nous réjouir en constatant à quel point nous sommes semblables sur bien des aspects essentiels de nos personnalités.

Deux anecdotes pour finir :

début janvier, nous étions invités à une soirée chez sa meilleure amie, que je devais rencontrer pour la première fois. Tout se passe très bien, L. est adorable, les gens sympas, je m'amuse. Mais DramaKing est malade, pas très en forme, il veut rentrer avec le dernier métro, ce dont il m'avait prévenue dès le départ. J'ai un peu rechigné, traîné des pieds, sans le cacher. Sur le chemin du retour, il m'a dit : "Ne me refais plus jamais ça." Sur le coup, j'ai pensé qu'il exagérait, que c'était complètement disproportionné.
Puis j'ai compris. Pour lui, être en couple signifie montrer un front uni, ne jamais critiquer l'autre devant des tiers, ni le mettre dans une position d'inconfort, de gêne ou d'infériorité. C'est le soutenir et l'accompagner en permanence, surtout lorsqu'il est en difficulté, au mépris de ses propres envies.

L'autre anecdote date de dimanche soir dernier. Nous étions à Saint-Ouen, au festival Mo'Fo, où nous avons notamment eu la chance d'assister au premier "concert" - en réalité un trop court set - de Take it Easy Hospital, le groupe des deux musiciens du film "Les Chats Persans" (http://vimeo.com/9148840).
A un moment, nécessité d'une pause technique. Mais trop d'attente pour les toilettes des femmes, nous finissons par nous engouffrer tous les deux dans celles des hommes. Et faisons pipi, l'un après l'autre, en présence l'un de l'autre.

La tentation du reflet pour moi, pour nous je crois, renvoie à tout cela : une exigence de solidarité et de confiance absolues, quelque chose de l'enfance aussi, le jeu du "chiche", la complicité, le bonheur de se reconnaître dans l'autre, sa familiarité.

Frère et sœur enfin...

vendredi 22 janvier 2010

L'Histoire en train de se faire

Il y a un peu plus d'une semaine, DramaKing et moi évoquions nos premiers "souvenirs historiques". Comme pour la majorité des gens de notre génération, c'est ce que je pense en tout cas, le sentiment de voir l'Histoire en train de se faire commence pour nous avec la chute du Mur de Berlin. Nous en sommes ainsi venus à parler de la matière histoire, et de la façon dont elle nous avait été enseignée à l'école.

Pour ma part, j'ai été marquée par tout ce qui a trait à la Seconde Guerre Mondiale, notamment la Shoah. Cette période ne me paraissait pas si loin lorsque j'avais 13/14 ans, et elle était très présente dans les programmes scolaires à partir de la 3e.

Comme me l'a expliqué DramaKing, l'enseignement de l'histoire en Tunisie se concentre surtout sur les 200 ans qui ont précédé l'instauration du protectorat français fin XIXe ; si l'indépendance est bien sûr abordée, on passe toutefois rapidement sur Bourguiba pour arriver au fait majeur (et unique) de l'histoire contemporaine, "le Grand Changement", qui marque la prise de pouvoir de Ben Ali en 1987. La formulation est très intéressante, à la fois grandiloquente et évasive.

Extrait du site Tunisie.com : "Le 7 novembre 1987 : le Premier Ministre Zine El Abidine Ben Ali, accède conformément à la Constitution à la magistrature suprême et devient Président de la République Tunisienne.
La succession au pouvoir s'est opérée dans le cadre de la légalité constitutionnelle et de façon pacifique.
Le nouveau régime s'est employé depuis 1987 à consolider le processus démocratique et à réaliser, par une action multidimensionnelle et concertée, le développement et la dynamisation de la vie économique, sociale et culturelle. Ses réussites dans les divers domaines ont été saluées par les plus hautes instances internationales."
Et c'est tout ce que l'on trouve sous le chapitre "Histoire contemporaine".

Cette conversation m'a rappelé que l'histoire en tant que domaine d'étude et d'enseignement est un enjeu éminemment politique.

Mais j'ai aussi réalisé à quel point je m'étais forgée une image fausse et aseptisée de la Tunisie. Parce que ce pays apparaît comme le "bon élève" du Maghreb et du monde arabe : laïcité, place des femmes, lutte contre l'extrémisme musulman, jeu des institutions internationales et du système capitaliste. Et parce que la Tunisie est aujourd'hui cette destination exotique et ensoleillée à bas prix, la destination facile par excellence, d'un pays dont on ignore la culture, l'histoire et la réalité avec un mépris vaguement post-colonialiste.

DramaKing et ses amis se vivent pratiquement comme des réfugiés politiques. Il m'a dit un jour que la plupart d'entre eux auraient fini en prison s'ils n'étaient pas partis. Je n'avais pas compris alors, je ne le pouvais pas.

Dimanche dernier, nous sommes allés voir "Les chats persans" de Bahman Ghobadi. J'en suis ressortie en larmes. C'est un film magnifique : d'une générosité incroyable, moderne, vivant, passionnant, bouleversant. Un hommage vibrant à la musique, au cinéma, à la jeunesse, à la révolte, à la liberté. Qui montre l'Iran sous un visage totalement méconnu jusque là. Mais qui finit mal, très mal. Pas seulement le film : après avoir tourné en une quinzaine de jours, Bahman Ghobadi et ses acteurs ont été obligés de s'exiler ; et la répression actuelle tourne au bain de sang.

DramaKing et moi avons tous deux pensé à la Tunisie. La situation y est certes moins dramatique qu'en Iran. Mais c'est le même phénomène d'étouffement de toute expression libre, qu'elle soit politique ou artistique.

Je me demande où est l'espoir quand il n' y a pas d'autre alternative que la résignation, la mort ou la fuite. Mais moi je ne suis que spectatrice de l'Histoire en train de se faire. Je n'ai même pas toujours le courage de vraiment la regarder. Et pour être tout à fait honnête, j'espère ne jamais être confrontée à ce type de choix.

vendredi 8 janvier 2010

Les femmes que j'aime

Tribute to Aurora

J'ai eu l'idée de ce post le 22 décembre dernier lorsque, me rendant sur le blog d'Aurora, j'ai constaté qu'elle avait décidé de cesser d'y écrire. Note de mon carnet ce jour là : "J'ai énormément de peine, parce que cette femme là, c'est tout ce que j'aime et tout ce que je voudrais être." J'ai voulu me joindre à ses lecteurs et laisser un commentaire sur son dernier post (http://auroraweblog.karmaos.com/). Quelque chose qui aurait dit ma tendresse, mon admiration, mon soutien, ma tristesse de l'avoir perdue alors que je venais à peine de la rencontrer. Je n'ai pas osé. Mais je savais que je lui écrirais ici, même si elle devait ne jamais me lire. Je lui écrirais à elle, mais aussi à toutes les femmes que j'aime : celles que je trouve si belles, qui me touchent, m'éblouissent, me rassurent, me ressemblent, m'accompagnent.

Il y a ces trois femmes, que j'ai découvertes récemment.

Joumana Haddad, fondatrice et rédactrice en chef de Jasad, premier et unique magazine culturel du monde arabo-musulman consacré au corps et à la sexualité (http://www.jasadmag.com/en/index.asp). Elle est magnifique, poète et journaliste, parle au moins trois langues, et doit vivre sous protection, parce qu'ayant redonné sa place au corps, elle risque désormais sa propre peau.

Alona Kimhi, écrivain israélienne. Je suis tombée complètement par hasard sur un recueil de quatre nouvelles, Moi Anastasia. J'ai été très marquée par la troisième : l'histoire d'une môme obèse dans un asile de fous, qui chronique avec un humour noir et tendre de clown triste, son désespoir et celui de ses compagnons.

Hindi Zahra, vue à la Bellevilloise lors de la dernière Nuit Zébrée parisienne en décembre : petit bout de femme magnétique dont toute une salle de concert tombe éperdument amoureuse en quelques chansons. J'avais ressenti la même chose il y a quelques années à un concert de Keren Ann au moment de la sortie de son 2e album, La Disparition.

Il y a mes amies...

S., qui m'a dit un jour qu'elle appréciait de plus en plus l'amitié féminine, parce qu'avec l'âge, la rivalité sous-jacente laisse place à une admiration mutuelle sincère, qui permet des relations de compréhension et de solidarité authentiques et précieuses.

C., Lady C., La Voix de la Raison, Mata Hari, la seule avec laquelle je peux vraiment parler de sexe, du sexe comme je l'aime, la première à qui j'ai présenté DramaKing. C. qui est aujourd'hui amoureuse folle d'une jeune homme expert en shibari, de 10 ans son cadet.

A., 4 enfant, 4 filleuls (dont Axel), ingénieur automobile, dont la maison est toujours ouverte : pour un dîner, une fête d'anthologie, pour y passer la nuit ou des mois en cas de galère. A. gère tout et tous, avec une énergie et une générosité sans faille.

L., lumineuse, incapable de mentir, de tricher, de dissimuler, parfois exaspérante de franchise (et de vérité), comme les enfants lorsqu'ils n'ont pas encore intégré le sens des conventions sociales. L. que j'ai perdue et que j'aimerais tant retrouver.

C., que je connais depuis peu, l'une des premières à qui j'ai donné le lien vers ce blog. Adorablement jolie, vive, fantaisiste, sans aucun artifice. S'est précipitée à Lyon pour retrouver l'homme de sa vie qu'elle n'avait vu qu'une fois pendant 10 minutes à l'aéroport de Kuala Lumpur plusieurs mois auparavant.

L., qui m'a redonné le goût de la féminité, de la danse et de la fête, après que j'ai passé une année en mode robot suite à ma séparation. L. qui m'a initiée à la salsa, au Vélib, à l'art de dégotter les plus jolies robes dans le fatras des portants suédois. Ma petite L. pleine de questions.

C., ma meilleure amie depuis plus de 11 ans maintenant, la marraine de Pierre. Toujours là lorsque j'ai besoin d'elle, dans les moments heureux comme difficiles. Ce que je n'ai pas réussi à lui rendre malheureusement. C., courageuse, opiniâtre, qui résiste par l'humour aux situations les plus complexes.

... Et toutes les autres, les proches et moins proches, rencontrées au cours de mes études, au travail, via des amis communs, mes parents..., de mon âge, plus jeunes ou plus âgées que moi, les "anciennes", les récentes, les en couple, les célibataires, mères de famille ou non.

Mes amies sont belles, fortes, admirables. Elles se battent pour leur boulot, pour leur homme, pour leur amour, pour leurs mômes, pour elles-mêmes et parfois pour moi.

Il y a ma mère, qui m'a transmis sa passion du savoir, de la culture, de l'art, des livres bien sûr. Mais parce qu'elle est si secrète, si attachée à son intégrité, j'ai souvent le sentiment qu'elle ne me comprend pas et qu'elle me juge. Ma mère de son côté pense que je continue à me construire contre elle. Sur certains points (la sexualité, l'attrait pour le plaisir et la légèreté, le rapport à la féminité et à l'apparence physique, la façon d'assumer le rôle de parent...) elle a raison. Mais elle ne sait pas assez à quel point je revendique aussi son héritage.

Enfin, parmi les femmes que j'aime, il y a Aurora, à qui ce post est dédié. Je veux croire en effet qu'un soleil nouveau se lèvera bientôt pour vous...

dimanche 3 janvier 2010

Je ne suis plus la poupée qui dit non


La nuit dernière, j'ai dit à DramaKing que je voulais dormir avec mon collier, et ma laisse, enroulée autour de son poignet. Je lui ai dit : "Tiens-moi."

Dans la matinée, j'avais fini ce livre de Pierre Bourgeade, Eloge des fétichistes, dont Aurora avait si bien parlé (http://auroraweblog.karmaos.com/post/1979). Aurora a cessé son blog le 18 décembre dernier, j'y reviendrai.

Eloge des fétichistes donc : un testament jubilatoire, un hymne à l'amour, à la vie, aux mots, à l'extraordinaire fertilité de l'imagination humaine, une profession de foi autant qu'un legs de liberté absolue.

Il y a une nouvelle en particulier, où deux ours achètent une petite humaine domestique dont personne ne veut parce qu'elle est aveugle. La petite s'apprivoise, découvre sa niche et sa litière, fait ses besoins, se lave consciencieusement, et témoigne sa reconnaissance en venant, comme le ferait un chat, blottir sa tête sur les genoux de l'Ourse.
Dans un premier temps, DramaKing et moi n'avons pas été capables de dire pourquoi cette nouvelle nous a autant troublés et touchés. Puis j'ai pensé à Boucles d'Or, mais aussi à la Planète des Singes et à King Kong, sans la révolte de la prétendue dignité des hommes. J'ai eu le sentiment d'entrer dans un monde parallèle aussi crédible que le nôtre, un monde qui appartiendrait à des temps à la fois très anciens et hors du temps, et dont j'aurais des réminiscences. Comme si j'avais été, dans une autre vie, une autre dimension, cette humaine adoptée par un couple d'ours. Comme si je reconnaissais avec bonheur cet état de sujétion totale, sans pensée, sans conscience, ancré dans un présent permanent, libéré de toute aspiration autre que la bienveillance des maîtres.

Voilà où nous transporte Bourgeade : aux confins de notre humanité et de notre raison. C'est un voyage fabuleux.

Ce manifeste de liberté, comme mes échanges avec DramaKing et tout ce qu'il me fait découvrir m'encouragent à changer de posture. Je ne suis plus la poupée qui dit non en pensant oui. Je dis oui, en adulte, je le dis parce que je le veux. Plus de minauderies, j'ai la volonté d'assumer la pleine et entière responsabilité de mes propres désirs.

Je me suis rarement sentie aussi libre qu'au bout de la laisse tenue par DramaKing. Parce que c'est exactement ainsi que je voulais être.