vendredi 22 janvier 2010

L'Histoire en train de se faire

Il y a un peu plus d'une semaine, DramaKing et moi évoquions nos premiers "souvenirs historiques". Comme pour la majorité des gens de notre génération, c'est ce que je pense en tout cas, le sentiment de voir l'Histoire en train de se faire commence pour nous avec la chute du Mur de Berlin. Nous en sommes ainsi venus à parler de la matière histoire, et de la façon dont elle nous avait été enseignée à l'école.

Pour ma part, j'ai été marquée par tout ce qui a trait à la Seconde Guerre Mondiale, notamment la Shoah. Cette période ne me paraissait pas si loin lorsque j'avais 13/14 ans, et elle était très présente dans les programmes scolaires à partir de la 3e.

Comme me l'a expliqué DramaKing, l'enseignement de l'histoire en Tunisie se concentre surtout sur les 200 ans qui ont précédé l'instauration du protectorat français fin XIXe ; si l'indépendance est bien sûr abordée, on passe toutefois rapidement sur Bourguiba pour arriver au fait majeur (et unique) de l'histoire contemporaine, "le Grand Changement", qui marque la prise de pouvoir de Ben Ali en 1987. La formulation est très intéressante, à la fois grandiloquente et évasive.

Extrait du site Tunisie.com : "Le 7 novembre 1987 : le Premier Ministre Zine El Abidine Ben Ali, accède conformément à la Constitution à la magistrature suprême et devient Président de la République Tunisienne.
La succession au pouvoir s'est opérée dans le cadre de la légalité constitutionnelle et de façon pacifique.
Le nouveau régime s'est employé depuis 1987 à consolider le processus démocratique et à réaliser, par une action multidimensionnelle et concertée, le développement et la dynamisation de la vie économique, sociale et culturelle. Ses réussites dans les divers domaines ont été saluées par les plus hautes instances internationales."
Et c'est tout ce que l'on trouve sous le chapitre "Histoire contemporaine".

Cette conversation m'a rappelé que l'histoire en tant que domaine d'étude et d'enseignement est un enjeu éminemment politique.

Mais j'ai aussi réalisé à quel point je m'étais forgée une image fausse et aseptisée de la Tunisie. Parce que ce pays apparaît comme le "bon élève" du Maghreb et du monde arabe : laïcité, place des femmes, lutte contre l'extrémisme musulman, jeu des institutions internationales et du système capitaliste. Et parce que la Tunisie est aujourd'hui cette destination exotique et ensoleillée à bas prix, la destination facile par excellence, d'un pays dont on ignore la culture, l'histoire et la réalité avec un mépris vaguement post-colonialiste.

DramaKing et ses amis se vivent pratiquement comme des réfugiés politiques. Il m'a dit un jour que la plupart d'entre eux auraient fini en prison s'ils n'étaient pas partis. Je n'avais pas compris alors, je ne le pouvais pas.

Dimanche dernier, nous sommes allés voir "Les chats persans" de Bahman Ghobadi. J'en suis ressortie en larmes. C'est un film magnifique : d'une générosité incroyable, moderne, vivant, passionnant, bouleversant. Un hommage vibrant à la musique, au cinéma, à la jeunesse, à la révolte, à la liberté. Qui montre l'Iran sous un visage totalement méconnu jusque là. Mais qui finit mal, très mal. Pas seulement le film : après avoir tourné en une quinzaine de jours, Bahman Ghobadi et ses acteurs ont été obligés de s'exiler ; et la répression actuelle tourne au bain de sang.

DramaKing et moi avons tous deux pensé à la Tunisie. La situation y est certes moins dramatique qu'en Iran. Mais c'est le même phénomène d'étouffement de toute expression libre, qu'elle soit politique ou artistique.

Je me demande où est l'espoir quand il n' y a pas d'autre alternative que la résignation, la mort ou la fuite. Mais moi je ne suis que spectatrice de l'Histoire en train de se faire. Je n'ai même pas toujours le courage de vraiment la regarder. Et pour être tout à fait honnête, j'espère ne jamais être confrontée à ce type de choix.

vendredi 8 janvier 2010

Les femmes que j'aime

Tribute to Aurora

J'ai eu l'idée de ce post le 22 décembre dernier lorsque, me rendant sur le blog d'Aurora, j'ai constaté qu'elle avait décidé de cesser d'y écrire. Note de mon carnet ce jour là : "J'ai énormément de peine, parce que cette femme là, c'est tout ce que j'aime et tout ce que je voudrais être." J'ai voulu me joindre à ses lecteurs et laisser un commentaire sur son dernier post (http://auroraweblog.karmaos.com/). Quelque chose qui aurait dit ma tendresse, mon admiration, mon soutien, ma tristesse de l'avoir perdue alors que je venais à peine de la rencontrer. Je n'ai pas osé. Mais je savais que je lui écrirais ici, même si elle devait ne jamais me lire. Je lui écrirais à elle, mais aussi à toutes les femmes que j'aime : celles que je trouve si belles, qui me touchent, m'éblouissent, me rassurent, me ressemblent, m'accompagnent.

Il y a ces trois femmes, que j'ai découvertes récemment.

Joumana Haddad, fondatrice et rédactrice en chef de Jasad, premier et unique magazine culturel du monde arabo-musulman consacré au corps et à la sexualité (http://www.jasadmag.com/en/index.asp). Elle est magnifique, poète et journaliste, parle au moins trois langues, et doit vivre sous protection, parce qu'ayant redonné sa place au corps, elle risque désormais sa propre peau.

Alona Kimhi, écrivain israélienne. Je suis tombée complètement par hasard sur un recueil de quatre nouvelles, Moi Anastasia. J'ai été très marquée par la troisième : l'histoire d'une môme obèse dans un asile de fous, qui chronique avec un humour noir et tendre de clown triste, son désespoir et celui de ses compagnons.

Hindi Zahra, vue à la Bellevilloise lors de la dernière Nuit Zébrée parisienne en décembre : petit bout de femme magnétique dont toute une salle de concert tombe éperdument amoureuse en quelques chansons. J'avais ressenti la même chose il y a quelques années à un concert de Keren Ann au moment de la sortie de son 2e album, La Disparition.

Il y a mes amies...

S., qui m'a dit un jour qu'elle appréciait de plus en plus l'amitié féminine, parce qu'avec l'âge, la rivalité sous-jacente laisse place à une admiration mutuelle sincère, qui permet des relations de compréhension et de solidarité authentiques et précieuses.

C., Lady C., La Voix de la Raison, Mata Hari, la seule avec laquelle je peux vraiment parler de sexe, du sexe comme je l'aime, la première à qui j'ai présenté DramaKing. C. qui est aujourd'hui amoureuse folle d'une jeune homme expert en shibari, de 10 ans son cadet.

A., 4 enfant, 4 filleuls (dont Axel), ingénieur automobile, dont la maison est toujours ouverte : pour un dîner, une fête d'anthologie, pour y passer la nuit ou des mois en cas de galère. A. gère tout et tous, avec une énergie et une générosité sans faille.

L., lumineuse, incapable de mentir, de tricher, de dissimuler, parfois exaspérante de franchise (et de vérité), comme les enfants lorsqu'ils n'ont pas encore intégré le sens des conventions sociales. L. que j'ai perdue et que j'aimerais tant retrouver.

C., que je connais depuis peu, l'une des premières à qui j'ai donné le lien vers ce blog. Adorablement jolie, vive, fantaisiste, sans aucun artifice. S'est précipitée à Lyon pour retrouver l'homme de sa vie qu'elle n'avait vu qu'une fois pendant 10 minutes à l'aéroport de Kuala Lumpur plusieurs mois auparavant.

L., qui m'a redonné le goût de la féminité, de la danse et de la fête, après que j'ai passé une année en mode robot suite à ma séparation. L. qui m'a initiée à la salsa, au Vélib, à l'art de dégotter les plus jolies robes dans le fatras des portants suédois. Ma petite L. pleine de questions.

C., ma meilleure amie depuis plus de 11 ans maintenant, la marraine de Pierre. Toujours là lorsque j'ai besoin d'elle, dans les moments heureux comme difficiles. Ce que je n'ai pas réussi à lui rendre malheureusement. C., courageuse, opiniâtre, qui résiste par l'humour aux situations les plus complexes.

... Et toutes les autres, les proches et moins proches, rencontrées au cours de mes études, au travail, via des amis communs, mes parents..., de mon âge, plus jeunes ou plus âgées que moi, les "anciennes", les récentes, les en couple, les célibataires, mères de famille ou non.

Mes amies sont belles, fortes, admirables. Elles se battent pour leur boulot, pour leur homme, pour leur amour, pour leurs mômes, pour elles-mêmes et parfois pour moi.

Il y a ma mère, qui m'a transmis sa passion du savoir, de la culture, de l'art, des livres bien sûr. Mais parce qu'elle est si secrète, si attachée à son intégrité, j'ai souvent le sentiment qu'elle ne me comprend pas et qu'elle me juge. Ma mère de son côté pense que je continue à me construire contre elle. Sur certains points (la sexualité, l'attrait pour le plaisir et la légèreté, le rapport à la féminité et à l'apparence physique, la façon d'assumer le rôle de parent...) elle a raison. Mais elle ne sait pas assez à quel point je revendique aussi son héritage.

Enfin, parmi les femmes que j'aime, il y a Aurora, à qui ce post est dédié. Je veux croire en effet qu'un soleil nouveau se lèvera bientôt pour vous...

dimanche 3 janvier 2010

Je ne suis plus la poupée qui dit non


La nuit dernière, j'ai dit à DramaKing que je voulais dormir avec mon collier, et ma laisse, enroulée autour de son poignet. Je lui ai dit : "Tiens-moi."

Dans la matinée, j'avais fini ce livre de Pierre Bourgeade, Eloge des fétichistes, dont Aurora avait si bien parlé (http://auroraweblog.karmaos.com/post/1979). Aurora a cessé son blog le 18 décembre dernier, j'y reviendrai.

Eloge des fétichistes donc : un testament jubilatoire, un hymne à l'amour, à la vie, aux mots, à l'extraordinaire fertilité de l'imagination humaine, une profession de foi autant qu'un legs de liberté absolue.

Il y a une nouvelle en particulier, où deux ours achètent une petite humaine domestique dont personne ne veut parce qu'elle est aveugle. La petite s'apprivoise, découvre sa niche et sa litière, fait ses besoins, se lave consciencieusement, et témoigne sa reconnaissance en venant, comme le ferait un chat, blottir sa tête sur les genoux de l'Ourse.
Dans un premier temps, DramaKing et moi n'avons pas été capables de dire pourquoi cette nouvelle nous a autant troublés et touchés. Puis j'ai pensé à Boucles d'Or, mais aussi à la Planète des Singes et à King Kong, sans la révolte de la prétendue dignité des hommes. J'ai eu le sentiment d'entrer dans un monde parallèle aussi crédible que le nôtre, un monde qui appartiendrait à des temps à la fois très anciens et hors du temps, et dont j'aurais des réminiscences. Comme si j'avais été, dans une autre vie, une autre dimension, cette humaine adoptée par un couple d'ours. Comme si je reconnaissais avec bonheur cet état de sujétion totale, sans pensée, sans conscience, ancré dans un présent permanent, libéré de toute aspiration autre que la bienveillance des maîtres.

Voilà où nous transporte Bourgeade : aux confins de notre humanité et de notre raison. C'est un voyage fabuleux.

Ce manifeste de liberté, comme mes échanges avec DramaKing et tout ce qu'il me fait découvrir m'encouragent à changer de posture. Je ne suis plus la poupée qui dit non en pensant oui. Je dis oui, en adulte, je le dis parce que je le veux. Plus de minauderies, j'ai la volonté d'assumer la pleine et entière responsabilité de mes propres désirs.

Je me suis rarement sentie aussi libre qu'au bout de la laisse tenue par DramaKing. Parce que c'est exactement ainsi que je voulais être.