dimanche 20 juin 2010

Toute ressemblance...

C'est un artiste. Vous avez été la première à lui donner ce titre, à le décréter, le proclamer. Vous l'avez encouragé à suivre sa voie, à s'y engager sans réserve, vous avez martelé les arguments à n'en plus finir : talentueux, jeune, bosseur, passionné et débrouillard, je crois en toi mon amour.

Parce qu'une fois vous lui avez dit que vous ne supportiez pas les "losers", il s'inquiète de savoir si vous l'aimerez toujours lorsqu'il sera un artiste désargenté. Vous lui expliquez alors que ce qui est important pour vous, c'est la passion, le travail, l'intégrité, l'engagement et la volonté, bien plus que le compte en banque, et il se sent rassuré, parce que ces qualités là ne lui font pas défaut, vous le lui avez tant répété, je crois en toi mon amour.

Vous êtes celle dont le regard compte le plus, c'est à vous qu'il parle de ses projets et qu'il montre ses réalisations en avant-première. Il est exigeant, il vous demande de l'être aussi, d'être critique et constructive. Parfois vous vous sentez prise en défaut, vous êtes fatiguée, vous ne vous estimez pas légitime, vous n'êtes pas assez cultivée, votre oeil n'est pas assez aiguisé, la preuve, vous ne connaissez pas la moitié des choses dont il vous parle, et vous en oubliez aussi. Le sentiment de votre incompétence vous accable, tout comme la banalité de votre vie et de vos préoccupations, alors... Dans le doute, vous êtes élogieuse, vous savez qu'il attend plus de vous, que vous le décevez, mais c'est tout ce que vos forces vous permettent : je crois en toi mon amour.

Il dit qu'il est là pour vous lui aussi, pour les petits tracas du quotidien, comme pour les grandes décisions de la vie, pour vous écouter, vous encourager, vous pousser, vous engueuler même. Mais vous n'osez pas beaucoup faire appel à lui, vous ne voulez pas le déranger, et puis vous avez pris l'habitude de vous débrouiller seule et toute dépendance vous pèse. Vous préférez lorsqu'il est fier de vous, alors vous vous essayez à l'écriture : à lui l'image, à vous les mots. Vous décidez vous aussi de changer de vie. Vous n'en pouvez plus de périr d'ennui et de stress, et votre frustration est d'autant plus intense que vous le voyez, lui, prendre son envol sur les ailes de la création. Mais il a du temps quand vous êtes en retard sur tout, il est enthousiaste quand vous êtes seulement épuisée, il a confiance quand vous êtes pétrie de doutes et de peurs, il affine son projet quand vous n'aspirez tout bêtement qu'à faire une pause. Il vous semble que vous tentez vainement et artificiellement de créer une symétrie, afin que chacun d'entre vous puisse dire à l'autre : je crois en toi mon amour.

Vous êtes fière quand d'autres confirment son talent. Vous ne ressentez aucune inquiétude tant qu'il s'agit de vos amis. Mais il y a ceux qui ne savent même pas que vous existez, ou pour qui votre existence n'est qu'un détail insignifiant. Vous les redoutez parce que vous pensez qu'ils risquent de l'entraîner dans des lieux, des univers et des expériences dans lesquels vous n'aurez pas votre place. Vous savez qu'il a besoin de rencontres, de partages et d'échanges, et vous vous en voulez de cette crainte de ne plus être la première et la seule, vous culpabilisez de vouloir l'enfermer, vous avez tellement peur de le perdre. Vous ne laissez rien paraître de tout cela, vous essayez en tout cas, vous jouez le rôle qu'il attend de vous, la parfaite compagne, et vous répétez comme un mantra : je crois en toi mon amour.

Vous voudriez être tellement associée à son art que personne ne puisse l'ignorer et vous nier. Être son unique modèle féminin, ou en tout cas son préféré. Être assez jolie pour que toutes les images qu'il capture de vous soient déjà si prometteuses qu'il ait envie de les travailler en priorité. Vous voudriez que ces photos méritent qu'il y consacre son temps et son talent, plus que celles qu'il a prises d'autres femmes. Vous n'attendez pas qu'il vous fasse plaisir, là n'est pas la question. Vous comprenez ses impératifs artistiques. Ce sont vos propres insuffisances que vous pointez. Vous ne vous aimez pas en ce moment, votre allure, votre teint, vos cheveux, votre silhouette. Vous vous voyez vieillir et vous avez peur de la dégradation des prochaines années. Vous n'arrivez pas à poser pour lui. Parce que vous pensez que même dans une situation "maîtrisée", la magie de son regard ne suffira pas à vous rendre belle, et vous ne voulez pas qu'il le sache lui aussi. Vous manquez de confiance en vous, je crois en toi mon amour.

Vous ne vous sentez pas à la hauteur. Vous pensez qu'il faut vous protéger, et vous avez peur de vous refermer. Vous êtes infiniment triste.

Tout cela n'est qu'une fiction bien sûr : "Toute ressemblance avec des personnes réelles est purement fortuite."

 Je crois en toi mon amour.

vendredi 11 juin 2010

New life

Combien de tournants dans une vie ?
Combien de hasards décisifs, de prises de conscience capitales, de décisions cruciales ?
Combien de pages tournées, de nouveaux chapitres à écrire ?
Combien de projets, de rencontres, d'envies, de rêves ?
Jusqu'à quand ? A 20, 30, 40 ans... A chaque instant la possibilité exaltante et terrifiante de quitter la route, de prendre les chemins de traverse.
Pourquoi ? Pour la trace impalpable de nos désirs.
Quelle sera notre histoire ? De quelles strates serons-nous faits ?
Il n'en restera rien, que le souvenir de ces déclics qui, lorsqu'ils se produisent, nous semblent si évidents.
Nous avons l'immense chance de faire partie de ceux pour qui la destinée est un choix.

C'est un beau jour pour changer de vie...

jeudi 10 juin 2010

DramaKing a 30 ans

Portfolio Pierre Bourgeade des éditions Chez Higgins : http://www.chezhiggins.com/

Tu dors encore. Je vais bientôt partir pour emmener les enfants à l'école. Je reviens ensuite. Avec des croissants, le Monde daté d'aujourd'hui, des Camel parce que tu n'en as plus, et ton cadeau. J'espère qu'il te plaira, je sais qu'il te plaira. Tu te demanderas pourquoi je tarde tant à rentrer, ou peut-être que non, que tu seras toujours en train de dormir, comme je ne sais pas le faire le matin.
Ce soir, nous irons ensemble au concert de Jamie Cullum à l'Olympia. J'adore cet artiste, j'avais pris les places il y a bien longtemps, au coeur de la tempête, dans la douleur de ton absence, me disant que c'était un signe que ce concert ait lieu le jour même de tes trente ans. Demain, nous ferons la fête avec des amis.

J'ai tellement pensé à ce 10 juin 2010, j'ai presque l'impression que c'est mon anniversaire aussi. Mon cadeau c'est toi, l'amour passionné et absolu que tu me portes, l'univers que tu m'ouvres, l'espoir et la conviction qu'ensemble, nous nous forgeons une vie à la hauteur de nos désirs.

Je m'arrête là car je vais finir par être sérieusement en retard pour l'école.
Joyeux anniversaire DramaKing, je t'aime.
Liz.

dimanche 6 juin 2010

LuLiz

C'était le point de départ du post d'aujourd'hui : La Vilaine Lulu, bande dessinée d'Yves St-Laurent parue pour la première fois en 1967, dont j'ai pu voir quelques planches à l'exposition du Petit Palais. J'ai fait un petit tour sur le Net pour voir ce qui se disait de cet ouvrage. Et là, surprise ! Je tombe sur des blogs et des vidéos d'obscurs tarés qui proposent une soi-disant "critique" de cette "BD sordide de 1967 dessinée par le Juif Yves St-Laurent, véritable guide initiatique au satanisme pour les enfants !". On retombe avec ces élucubrations dans la théorie du complot judéo-maçonnique mâtinée d'accusations de pédophilie, traite des blanches et luciférisme à usage des enfants (voyons, cette double syllabe "Lu-Lu", c'est bien un signe d'apologie de LUcifer, n'est-ce-pas ?). Et j'oubliais bien sûr le crime majeur d'Yves St-Laurent, son homosexualité notoire !

Bref : c'est rance, vomitif, à pleurer de bêtise crasse. Et ça me donne envie de laisser libre cours à ma facette "vilaine Lulu" !

De quoi parle t-on ? D'une petite fille qui fait beaucoup de bêtises, un peu comme la Sophie de la Comtesse de Ségur ou Mimi Cracra (j'adorais Mimi Cracra quand j'étais petite), mais en beaucoup plus hardcore. Lulu aime faire de vilains gestes, par exemple soulever sa robe et se taper les fesses. Lulu a un rat comme animal de compagnie. Lulu se moque du bébé d'une jeune maman, qui finit par l'abandonner. Lulu traite sa maîtresse de prostituée. Lulu tombe amoureuse et découpe d'autres petites filles pour les offrir en sacrifice à Vénus et obtenir ainsi les faveurs de l'être aimé. Lulu enlève des petites filles qui ne "seront pas perdues pour tout le monde" dit un monsieur élégant et barbichu. Et Lulu n'est pas punie, elle arrive même à infiltrer l'église catholique, à devenir cardinale, et finalement papesse !!!

Yves St-Laurent disait qu'il ne fallait pas lui appliquer le fameux "Madame Bovary c'est moi" de Flaubert. La vilaine Lulu n'est pas lui, elle est nous tous. Elle est nos pensées et nos pulsions inavouables, notre cruauté joyeuse, notre méchanceté jubilatoire.

La vilaine Lulu m'habite quand j'ai envie de flanquer des coups de pied à un ridicule et minuscule caniche promené par une rombière du 8ème dans la rue de Monceau.
La vilaine Lulu est en moi quand j'envoie valser mon costume de superwomaman, quand j'ai la flemme de tout, de faire des courses, de me laver, quand je nourris mes mômes aux Chips et au Nutella, quand je me soûle seule sur mon canapé en fumant des cigarettes à la chaîne, quand je me caresse devant mon miroir en tirant la langue ainsi que me l'ordonne DramaKing, pour me voir comme il me voit.
La vilaine Lulu me hante quand j'imagine DramaKing avec "la Petite". C'est moi qui l'appelle comme ça, de son côté, elle me surnomme "la Dame", et je ne peux rien contre l'arrogance de ses 20 ans. Je l'ai rencontrée en septembre dernier à une soirée d'anniversaire, où elle m'avait allumée assez sérieusement. Je sais maintenant qu'elle en avait fait autant avec DramaKing. Elle a été l'objet de notre première dispute lorsqu'il est revenu. Il aurait voulu faire l'amour, lui, elle et moi. J'ai banni la vilaine Lulu qui me disait d'accepter, parce que j'aurais pu jouir en massacrant la Petite. J'en ai beaucoup voulu à DramaKing de ne pas croire à ma violence folle, mauvaise, "désaxée", "dégénérée", pour reprendre les termes employés par les pourfendeurs d'Yves St-Laurent. Il m'a mise au défi en évoquant sa résistance à elle et m'a obligée ainsi à ne pas le relever. Je crois qu'il accepte mieux ma part sombre désormais.

La vilaine Lulu est une ombre qui m'est familière depuis bien longtemps déjà.
Quand petite fille, à l'arrière de la voiture, je faisais des gestes obscènes au conducteur juste derrière pour l'exciter. On n'est pas loin de la Lulu estampillée YSL montrant ses fesses non ? Suis-je une adepte du satanisme innée puisque personne ne m'y a initiée ?
Quand au collège, assise en cours à côté d'une des meilleures élèves de la classe : bonne famille, bonne catholique, et des seins que je m'arrangeais pour frôler constamment, tandis que je pressais mon pubis contre la barre de mon bureau jusqu'à l'explosion tant désirée. 
Quand je laissais (et encourageais) mon prof de maths en 1ère me draguer de façon éhontée. Je me désespérais d'aller déjà sur mes 16 ans, alors que Nabokov fixe strictement l'âge limite de Lolita à 14.
Quand j'ai séduit ma meilleure amie - et témoin - à quelques jours de mon mariage.
Etc.

Tout cela peut paraître bien sage en définitive. 
Ce qui est sûr, c'est que j'emmerde tous ces abrutis haineux et moralistes : la vilaine Lulu, c'est moi.