mercredi 29 septembre 2010

Cher Alexandre


 DramaKing et moi nous sommes disputés hier soir à votre sujet. Le point de départ était "Un amour sans merci". Je vais être honnête : j'en suis à peu près à la moitié, au même point que DramaKing qui "squatte" votre livre éhontément. Je l'ai cherché aujourd'hui à la Fnac St-Lazare, parce que ça me plaît moyennement de vous prendre ainsi à témoin (à partie ?) alors que je n'ai pas lu votre livre en entier. Sans succès malheureusement. En revanche DramaKing et moi avons lu tous les deux "Les filles du déluge".
J'ai fait quelques recherches sur vous, lu des critiques, des interviews, votre blog, découvert votre véritable identité (ce qui n'était pas très difficile, ainsi que vous l'aviez dit dans un entretien), et par conséquent votre autre blog.

Alors, où est le problème ?

DramaKing se reconnaît en vous, et vous a selon moi désigné comme son père "officieux" de substitution. Toute attaque contre vous (ou ce qu'il considère comme telle) est vécue comme une attaque personnelle. Il me l'a dit : "Je défendrai Gamberra comme s'il s'agissait de moi."
Et c'est vrai qu'il vous ressemble DramaKing. Mêmes blessures. Même radicalité. Même manque de détachement... et de modestie. Même séduction trouble. Même absence de légèreté. Même fragilité. Jusqu'à vos amitiés artistiques et littéraires qui sont pour lui autant d'idoles dans son panthéon privé (Gilles Berquet notamment).
Même soif d'amour, de reconnaissance et d'admiration éperdues. Tous deux appelez à l'obéissance et au sacrifice, vous exigez l'absolu et vous vous donnez à mesure. Ce faisant vous découvrez votre vulnérabilité. Vous êtes des dominants au pied d'argile.

Tout ce qui me touche et m'exaspère aussi, parfois, chez lui comme chez vous.

Nous nous sommes disputés hier parce qu'il me semblait que vous faisiez porter à Tristars toute la responsabilité de votre échec commun. Elle avait profité de vous le temps de se révéler à elle-même. Duplicité de petite conne au fond confite dans son conformisme bourgeois. Et elle était partie, parce que pute et non putain magnifique, elle n'avait su se maintenir sur vos hauteurs.

Lorsque je m'interroge sur la réalité de ce schéma, DramaKing m'accuse de féminisme systématique et doctrinaire, grossier.

Il me semble en effet, qu'une femme réagit différemment au moment de la rupture amoureuse. Mais peut-être devrais-je être plus honnête et ne parler que de moi. Je commence par me demander ce que j'ai fait, ce que je n'ai pas fait, ce que j'aurais du faire, ce que j'aurais du éviter. Puis j'invoque les facteurs extérieurs : le temps qui passe, la routine qui s'installe, le travail qui épuise, les soucis qui minent, les enfants qui bouffent. Ce n'est qu'après que vient la phase d'accusation, nécessaire au rétablissement du moi : "Le salaud, de toute façon il ne me mérite pas, et je suis bien conne de ne pas l'avoir largué la première." Mais avant d'en arriver là, j'ai questionné mes propres défaillances. Je suis sûre que vous l'avez fait Alexandre. Simplement je ne le vois pas dans vos ouvrages (ou pas encore).

Je cherche donc d'autres causes à la défection de Tristars. Je pense à la différence d'âge entre vous. Là aussi, j'essaie d'être honnête. Il y a très probablement chez moi un fond d'aigreur et d'angoisse de "déjà vieille soumise" : c'est vrai quoi, marre de ces quarantenaires portant beau leurs tempes argentées et qui n'ont d'yeux que pour des nymphettes d'à peine vingt ans ! Et tant mieux s'ils se font plaquer dans la douleur, ça leur apprendra ! Ca leur apprendra à apprécier la fragilité, la douceur, la générosité, le sens du dévouement de la femme qui mûrit. Ca leur apprendra à ne pas confondre Maître et Pygmalion. Ca t'apprendra, DramaKing, toute l'étendue de ma peur à l'idée d'être un jour trop vieille pour que tu aies encore envie de me dominer.

Je pense aussi à quel point la passion, surtout la passion SM, est épuisante. On s'effraie à ne se sentir et vivre qu'en désirs extrêmes. On s'écœure parfois de cette addiction. On a envie alors de se réfugier dans le quotidien, on fait le choix de la sécurité des sentiments et des sensations, on se raccroche à ce qui fait "la vraie vie des vrais gens" : des objectifs clairement définis et conformes à ce que la société nous impose comme modèle de réussite - un certain confort matériel et affectif. Je rue comme une pouliche au dressage (petit clin d'œil à DramaKing et à ses fantasmes de "pony girl") à l'évocation de ce renoncement et pourtant... Je sais que je ne peux m'engager autant dans les exigences de notre relation que parce que je suis fortement ancrée au réel par ailleurs (grâce à mes enfants notamment). Comment reprocher sa fuite à Tristars (les soumises, êtres de fuite, disiez-vous dans "Les filles du déluge"), elle qui ne disposait sûrement pas de cette sorte de points de repères ?

J'expliquais hier à DramaKing que j'éprouve une tendresse particulière pour la malice et l'hédonisme de Pierre Bourgeade, alors que vous me semblez si cérébral, et comme raidi dans votre cérébralité. A quoi DramaKing m'a répliqué que cette définition s'applique aussi parfaitement à lui.
Nous sommes femelles tournées vers la vie, le mouvement, par nécessité et par plaisir.
Chers Maîtres, laissez-nous parfois vous descendre de votre piédestal et vous faire ressentir la jouissive simplicité de notre trop humaine condition, nous ne vous en aimerons que davantage.

Cher Alexandre, pardonnez-moi ce méchant procès d'intention mal documenté. Je ne pouvais pas attendre davantage pour vous écrire. Mais je finirai bien par trouver "Un amour sans merci" (ou par le piquer à DramaKing). Alors je le lirai jusqu'au bout, et peut-être aurai-je un regard différent.